G.H.C. Bulletin 3 : Mars 1989 Page 15

Guadeloupéens en Guyane au XVIII° siècle

envers la société de 45.190  livres  18  sols  6  deniers.
Depuis il n'a pas réglé cette dette. Ce  n'est  d'ailleurs
pas la première fois que cela arrive  puisqu'il  doit  une
somme considérable au  sr  MOLINIER,  aussi  négociant  de
Bordeaux avec qui il a contracté une société  de  commerce
en novembre 1764 pour vendre en Guadeloupe "une  pacotille
considérable" et les  cargaisons  de  deux  navires.  Dans
cette lettre du 27 décembre 1766, le  ministre  dit  qu'il
"n'y aurait plus de sûreté ni de confiance dans le commer- 
ce si de pareils traits demeuraient  impunis".   Cependant
le ministre reconnaît que les  faits  sont  insuffisamment
justifiés. Il demande donc au gouverneur de Guadeloupe une 
information sur sa conduite en Guadeloupe  et  la  manière
dont il en est parti car il paraît qu'il  est  parti  pour
Cayenne, propriétaire d'un bâteau et de 14 nègres  (tiens!
la moitié a disparu entre la Guadeloupe et la Guyane!)
     Le ministre envoie la même lettre  au  gouverneur  de
Guyane, en modifiant la fin : il veut information  sur  sa
conduite depuis son arrivée, les biens qu'il y a  apportés
et l'usage qu'il en fait. Mais il convient que ces  infor-
mations soient secrètes pour que le sieur  LAFOREST  n'en-
lève pas par sa fuite à ses associés tous moyens de recou- 
vrer leurs fonds. (2)  
     Il y a diverses lettres sur le sujet entre le gouver- 
neur de Guyane et  le  ministre.  En  1767  le  gouverneur
demande de nouvelles instructions car le sr  LAFOREST  est
hors d'état de payer le reliquat de ses dettes (3). En  ce
qui concerne les  dettes  envers  le  sieur  MOLINIER,  le
gouverneur chargé de vérifier la plainte n'a pas trouvé de 
preuve d'inculpation et envoie en  1770  au  ministre  son
rapport ainsi qu'un mémoire du sr LAFOREST  demandant  que
MOLINIER fournisse les preuves, ce qu'il ne  fait  pas  et
l'affaire en reste là pour une dizaine d'années. (4)
     Le temps passant,  LAFOREST  devient  un  notable  de
Guyane. Le gouverneur et l'intendant ont  toute  confiance
en lui. Il est nommé subdélégué de l'Intendance à Sinnama- 
ri et en ce nom il accepte devant notaire le 16  septembre
1778 la donation entre vifs faite  par  le  gouverneur  de
FIEDMOND de tous ses biens en ce quartier pour  y  établir
une maison de santé pour les pauvres habitants. (5)
     Mais tout se gâte quand l'intendant MALOUET  le  pro-
pose à la même époque pour entrer au Conseil Supérieur. Le 
conseil "murmure" et, quand  les  administrateurs  exigent
une enquête de bonnes vie et moeurs, répond  qu'il  n'y  a
aucun bruit injurieux à la réputation du sr LAFOREST  mais
recherche un vice de forme dans divers actes et profite du 
délai pour relancer le sr MOLINIER qui envoie sa  procura-
tion. L'affaire est  mise  en  arbitrage  et  LAFOREST  se
reconnaît débiteur de 2300 livres mais demande à  MOLINIER
de lui rendre pareillement compte des envois qu'il a reçu. 
L'exposé qu'avait fait LAFOREST  en  1770  et  sur  lequel
MOLINIER s'était tu  est donc  confirmé  par  le  jugement
arbitral. (3)

     Comment expliquer l'animosité  du  Conseil  Supérieur
contre  LAFOREST  puisque  l'histoire  des  dettes  semble
n'être qu'un prétexte?    
     C'est en 1784 qu'on a le fin mot  de  l'histoire.  Le
gouverneur et l'intendant de l'époque, qui  ne  sont  plus
les mêmes, préviennent le ministre que fin juillet 1783 un 
habitant du quartier de Sinnamari nommé LAFOREST,  s'étant
embarqué avec ses nègres et tous ses effets sous  prétexte
de venir à Cayenne, n'a pas reparu. On a  d'abord  supposé
que contrarié dans sa navigation il a dû relâcher  sur  un
coin de la côte, puis on imagine qu'il a péri; puis  qu'il
s'est évadé dans une colonie étrangère. Mais  "il  n'avait
aucune dette ni mauvaise affaire et donc aucun  intérêt  à
quitter un pays où il était estimé et même souvent employé 
avec la confiance des ordonnateurs"
     Mais, ajoutent les administrateurs, "nous  avons  été
ramenés à cette idée par la  réflexion  que  cet  habitant
avait conçu une passion très vive pour  une  mulâtresse  à
laquelle il désirait s'unir pour donner  un  état  à  plu-
sieurs enfants qu'il avait eus d'elle et que  l'impression
générale en cette colonie contre la couleur ne lui permet- 
tant pas d'exécuter ce dessein il aurait pris le parti  de
fuir en des lieux où il pût être affranchi de la gêne  qui
l'avait retenu jusque là"
     A la fin de cette lettre datée  du  14  octobre  1784
vient un post-scriptum du lendemain 15 : "M. PRéVILLE  (le
gouverneur) reçoit dans le moment une lettre de la Trinité 
espagnole où on lui apprend que  le  sr  LAFORêT  s'y  est
établi et qu'il y est fort à son aise" (6)

     Ici finit l'histoire du sieur BROUILHET de LA FOREST, 
officier marchand venu de Bordeaux, négociant en Guadelou- 
pe, premier émigrant guadeloupéen en Guyane, poursuivi  (à
tort?) pour dettes, habitant  estimé  des  administrateurs
mais rejeté par les blancs  créoles  parce  qu'il  voulait
épouser la mère de ses enfants et qui a finalement  trouvé
le bonheur, du moins nous l'espérons, en terre espagnole.

                   Essai de généalogie

     Les renseignements généalogiques  sur  ce  personnage
sont presque inexistants. Le premier  nom  n'apparaît  que
rarement : dans une requête du dossier de la série E, dans 
l'acte notarié et dans un parrainage à Sinnamari. L'ortho- 
graphe varie ; nous  privilégions  celle  donnée  dans  le
Répertoire des généalogies  imprimées  du  Colonel  Arnaud
pour une famille de Guyenne .  L'orthographe  du  deuxième
nom varie aussi.  Comme il ne s'est pas marié et n'est pas 
mort aux îles françaises, nous n'avons aucun renseignement 
d'âge ni d'ascendance, ni d'origine précise.

     Heureusement nous avons retrouvé à Sinnamari le  bap-
tême de certains de ses enfants  que  nous  retranscrivons
tels qu'ils se présentent :

8 9 1773 Jean Louis,  fils  d'Anne  Christine,  mulâtresse
libre affranchie du sr DELAFORETS habitant, demeurant chez 
lui. p Sr Jean Louis Verollot, garde magasin  ;  m  Sophie
Regnauldin
26 1 1777 Jean François fils d'Anne Christine,  mulâtresse
libre restant chez M. de LA FORêT. p François Drillard ; m 
Marie Rose Billard
23 5 1779  Jean  Joseph  fils  naturel  d'Anne  Christine,
mulâtresse libre, né le 2 avril. p Jean Louis ; m  Margue-
rite Canceler
2 9  1781 Thérèse Sophie fille naturelle d'Anne Christine, 
mulâtresse libre de la paroisse, née le 1 octobre. p  Jean
François mulâtre libre ; m Thérèse Agathe Morgensten 

(1) C14 32 F° 57.
(2) B 123/2  Guadeloupe F° 75; Guyane F° 51.   
(3) C14 34 F° 324.
(4) E 246 Jean Joseph BROUILHé DE LAFOREST.
(5) C14 66 F° 313 à329 et 393 à 395. Notariat de Guyane M° 
Robert 16 9 1778.
(6) E 246 le sieur LAFORêT ; C14 57 F° 147.                



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