G.H.C. Bulletin 16 : Mai 1990 Page 134

QUELQUES ASPECTS DE LA "DIASPORA INDIENNE"
Compte-rendu par Pierre Bardin

     A l'invitation de l'Association Française des Amis de 
l'Orient une centaine de personnes se  trouvaient  réunies
Salle Clémenceau, au Sénat, le samedi  10  mars  au  matin
pour une journée  d'étude  sur  "quelques  aspects  de  la
diaspora indienne". Il est  bien difficile de  résumer  en
quelques lignes plus de cinq heures d'exposés, mais disons 
que d'entrée, après la présentation et les mots de bienve- 
nue du Président, le Professeur Jean Benoist va mettre  en
lumière ce qui sous-tendra les  exposés  des  uns  et  des
autres, à savoir que cette formidable  migration,  qui  va
s'étaler sur 60 ans environ, ne vit pas  seulement  partir
des ouvriers sous contrat, de toutes catégories, exportant 
leur savoir, mais qu'ils exportaient aussi leurs  cultures
(vestimentaire, alimentaire, musicale)  et  surtout  leurs
Panthéons, ignorant que tout cela  allait  ressurgir  dans
les pays de leur exil, la phase d'assimilation terminée.

     Combien sont partis? D'où venaient-ils? Jean Weber et 
le Professeur Singaravelou  sont  d'accord  pour  estimer,
autant que cela  soit possible, que pour  la  Caraïbe  ils
furent pratiquement 600.000 à s'embarquer sur les "Coolies 
ships" et que parmi les Comptoirs français, si  Mahé  sert
de point de départ vers la Réunion, Yanaon fut sans  doute
celui qui contribua le plus entre 1849 et 1889 au dévelop- 
pement des Isles à Sucre. 87% venaient du nord  (Calcutta)
et 13 % du sud et des Comptoirs.

     Pourquoi cette migration massive?  Après  l'abolition
de l'esclavage en 1848,  les  planteurs  se  trouvèrent  à
court de main-d'oeuvre. A  la  Guadeloupe  parce  que  les
"Nouveaux-libres" refusaient à juste titre de  travailler,
même rémunérés,  sur les  lieux  qui  avaient  connu  leur
servitude; à la Martinique parce que les affranchis deman- 
daient de tels salaires qu'il  fallut  songer  à  importer
d'autres travailleurs qui coûteraient moins cher.  Jacques
Weber souligne que des essais furent faits avec des  Madé-
riens, des Portugais, des Africains libres,  des  Chinois,
des Français recrutés dans les cabarets du Gers (eh!  oui)
sans succès. Alors, à l'image des planteurs de la  Réunion
qui utilisaient depuis longtemps les qualités de  travail-
leurs des Indiens, ceux des Antilles décidèrent  de  faire
de même, d'autant plus que les "Coolies"  demandaient  des
salaires moins élevés.  Un  accord  fut  conclu  entre  le
Gouvernement et la Compagnie  Générale  Maritime  pour  le
transport vers les Antilles de ces nouveaux "engagés".  Le
voyage par le Cap de  Bonne  Espérance  et  Sainte  Hélène
durait un peu plus de  100  jours.  La  C.G.M.  y  réalisa
d'énormes bénéfices. Il fallut répartir les Indiens  entre
la Réunion et la Caraïbe et il fut décidé que,  les  Indes
ne pouvant fournir les 10.000 travailleurs annuels souhai- 
tés, 2/3 des engagés iraient vers les Antilles,  1/3  vers
la Réunion.

     Si les conditions de transport  furent,  du  fait  de
l'entassement, assez hallucinantes, le taux  de  mortalité
fut très faible et ne peut en rien être comparé aux condi- 
tions des transports des négriers au XVIII°  siècle.  2,7%
fut le taux de mortalité sur ces "coolies ships". Ceci est 
à rapprocher des taux de mortalité sur les  transports  de
troupes à la même époque, alors que  les  négriers  attei-
gnaient 10% et plus  au  siècle  précédent.  L'explication
tient sans doute au fait  que  les  Indiens  étaient  bien
nourris (une des clauses de leur contrat d'engagement)  et
que la  vaccination anti-variolique existant évitait  bien
des épidémies. Malgré tout, les conditions de travail  sur
les plantations, si elles ne peuvent être là aussi  compa-
rées au système esclavagiste du siècle précédent (salaires 
et horaires réglementés entre  autres),  ressemblaient  au
travail forcé et des abus se faisant jour firent  que  des
hommes comme Victor Schoelcher demandèrent l'arrêt  de  ce
système de main-d'oeuvre qui compta jusqu'à 38%  de  décès
en Martinique et 42% en Guadeloupe. La  Martinique  y  mit
fin elle-même, alors que le Gouvernement dut intervenir en 
Guadeloupe, les planteurs souhaitant continuer à  recevoir
des Indiens. Le dernier convoi quitta les Indes en 1889. 

     De 1849 à 1889,  63.500  Indiens  partirent  pour  la
Réunion, 24.147 pour la Martinique, 42.326 vers la  Guade-
loupe et 8.400 vers la Guyane. La proportion de ceux  qui,
à la fin de leur contrat, souhaitèrent retourner dans leur 
pays d'origine fut environ d'un sur sept.

     Comment fut vécue cette "diaspora"  et  la  rencontre
avec la société créole? Le Professeur Singaravelou  estime
qu'elle le fut relativement bien, mais pas facilement. Les 
nouveaux arrivants furent confrontés à un  certain  nombre
de difficultés. 
     Difficulté religieuse tout d'abord : 8/10°  des  émi-
grants étaient de  religion  hindoue,  2/10°  de  religion
musulmane; il y eut très peu de  chrétiens.  Les  mission-
naires virent dans ces arrivées une masse  de  "païens"  à
convertir (le Professeur Benoist  fait  remarquer  que  la
Bible fut traduite en hindi), et leur prosélytisme fit que 
les conversions  accélérèrent  sans  doute  l'intégration.
Mais, en faisant ces concessions, les Indiens ne coupaient 
pas le cordon avec les anciennes croyances et les  ancien-
nes pratiques. C'est ainsi que dans  son  exposé  sur  les
"musiques fusion", Monique Desroches signale  l'importance
aujourd'hui des rapports avec les  Dieux.  Si  les  hommes
veulent que ceux-ci leur soient  favorables,  ils  doivent
faire en sorte que les  sons  émis  par  les  instruments,
notamment le tambour, viennent harmonieusement frapper les 
oreilles des Dieux.  C'est  la  raison  pour  laquelle  le
timbre d'un instrument est un élément  fondamental  de  la
musique indienne que l'on peut entendre aux Antilles ou  à
la Réunion, au cours de cérémonies cultuelles ou  sacrifi-
cielles, le tambour étant le lien qui  relie  physiquement
les hommes aux Dieux. Certaines cérémonies ne se  nomment-
elles pas, en Martinique par exemple, "Bon dié Coolie"?

     Autre difficulté,  la  langue.  Entre  les  arrivants
d'abord : ils venaient de toutes les parties de l'Inde  et
parlaient des langues  diverses,  l'hindi,  le  tamoul  ou
l'ourdou. En Guadeloupe et en Martinique ce furent surtout 
les Tamouls qui s'installèrent, imposant  à  leurs  compa-
triotes, émigrants comme eux, leur langue et  leur  tradi-
tions, mais en même temps ils comprirent que pour  s'insé-
rer dans  la  nouvelle  société  ils  devaient  parler  le
créole. Autre élément linguistique important, le français. 
Quels que soient les régimes, la politique coloniale fran- 
çaise est assimilationiste avec ses qualités  et  ses  dé-
fauts, et ce modèle  va  permettre  aux  Indiens  comme  à
d'autres  de s'élever dans la hiérarchie sociale. Le  Pro-
fesseur Singaravelou note que ce phénomène est plus impor- 
tant à la Réunion qu'aux Antilles. S'ils désiraient  s'in-
tégrer et s'élever dans leur nouvelle société, les Indiens
voulaient malgré tout conserver leurs traditions,  surtout



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