G.H.C. Bulletin 22 : Décembre 1990 Page 231

ANNE LELIEVRE, ENGAGEE POUR LA GUADELOUPE

     Je constate tout d'abord qu'Anne LELIèVRE n'a pas agi
de son propre chef :  c'est son père qui conclut l'engage-
ment.  Elle  est  donc encore mineure à ce  moment  là  et
pourrait être âgée,  de fait,  de 22 ans,  si l'on retient
l'âge de 30 ans au recensement de 1664.
     L'existence  de "René LEVESQUE enfant du 1°  lit,  10
ans"  suppose qu'Anne LELIèVRE ait été mariée en premières
noces avec un certain N.  LEVESQUE, lequel est nécessaire-
ment décédé entre 1653 et 1656.  Il est alors  surprenent,
mais pas rédhibitoire à mon sens,  qu'aucune mention ni de
l'enfant  ni du défunt mari n'apparaisse dans l'acte d'en-
gagement.  Anne LELIèVRE se serait donc embarquée pour  la
Guadeloupe  avec  son petit garçon âgé seulement  de  deux
ans. On ne s'étonnera pas, je crois, qu'une jeune veuve de
22  ans ait tenté de refaire sa vie aux îles.  On se  sou-
viendra,  de plus, en relisant Dutertre (3) que les filles
à  marier étaient de la plus grande rareté aux Antilles  à
cette  époque.  Cela  se savait en France,  à Dieppe  plus
particulièrement.

     Tout  le problème des candidats à l'émigration  était
celui du coût élevé du voyage. SAINT-SIMON, simple soldat,
ne  pouvait certainement pas compter sur sa  maigre  solde
pour  défrayer sa fille.  Théoriquement une seule alterna-
tive s'offrait alors à lui : soit il contractait au nom de
celle-ci un engagement de travail, stricto sensu, pour une
durée  de trois ans,  soit il sollicitait d'un  parent  ou
d'un ami l'avance des frais de passage. En fait, il semble
que  l'arrangement ait été intermédiaire et que notre acte
d'engagement fut un acte fictif,  c'est-à-dire un acte  de
garantie pour le bailleur de fonds.
     En  effet,  si j'en juge par son nom,  Jacques  ANGO,
l'engagiste,  était très certainement originaire de Dieppe
ou  des  environs.  ANGO et SAINT-SIMON devaient  bien  se
connaître  et  celui-ci aura vraisemblablement consenti  à
celui-là de lui payer le prix du voyage, sous cette réser-
ve  cependant  qu'en cas de  non-remboursement,  la  fille
LELIèVRE serait tenue de rester à son service à la  Guade-
loupe pendant trois ans.

     Il  est  des  actes notariés où ces  conditions  sont
explicitement formulées.  Tel passager consent à  défrayer
tel jeune homme de sa connaissance moyennant livraison dès
l'arrivée  dans  l'île  d'un certain nombre de  livres  de
pétun  par un parent ou par un débiteur.  En cas  de  non-
livraison du pétun, le jeune homme sera tenu de travailler
pendant trois ans pour celui qui l'aura défrayé.
     Dans  le cas qui nous occupe,  les clauses implicites
du  contrat ne peuvent être indiquées sur  le  papier.  En
effet,  le  sous-entendu qu'on hésite à  consigner,  c'est
qu'Anne  LELIèVRE part pour les îles avec l'espoir d'épou-
ser un riche habitant qui,  à l'arrivée,  dédommagera ANGO
de son avance.
     Pour  sa part,  Jacques ANGO avait les moyens  finan-
ciers  de rendre ce service aux LELIèVRE.  Nous le  savons
propriétaire en 1664 d'une habitation, située au Grand Cul
de Sac, sur laquelle travaillent 23 esclaves, ce qui n'est
pas peu.
     A  mon avis,  le mariage avec MINGUET n'avait pas été
convenu  au départ de Dieppe,  sinon  l'acte  d'engagement
aurait  été conclu en son propre nom,  avec procuration et
signature d'ANGO.
     Les prétendants durent se faire connaître dès l'arri-
vée d'Anne LELIèVRE à la Guadeloupe,  et René MINGUET  eut
rapidement la faveur (4).
     Celui-ci  était  arrivé aux Antilles douze  ans  plus
tôt.  Il  s'était en effet embarqué à la Rochelle vers  le
mois de juillet 1644 sur le navire  "l'Etoile",  capitaine
Jacques de BONNEMèRE. Après une simple escale ou un séjour
plus long à la Martinique, MINGUET s'était finalement fixé
à la Guadeloupe (5).
     En 1652,  sa première épouse,  dont j'ignore le  nom,
lui  donna une fille,  Catherine,  qui épousera plus  tard
Louis DESNOEUDS (6).
     Lors  de  son  remariage  avec  Anne  LELIèVRE,  René
MINGUET  était donc veuf,  avec une petite fille de 5 à  6
ans.
     A  ma connaissance,  le couple n'eut que deux filles,
Anne  et  Claire  Françoise (7) et  deux  fils,  Denis  et
Jacques.

     Je n'ai pas poussé les recherches plus loin en  aval,
n'ayant  voulu  étudier  que  l'origine  des  familles  de
pionniers. La généalogie MINGUET reste donc à rédiger (8).

Notes :

  (1) Tabellionage  de Dieppe,  M° Antoine  Le  Mareschal,
année 1656.
N.D.L.R. :  J.C.  Germain a pris la peine de  retranscrire
l'acte  avec  son orthographe,  mais nous n'avons  pas  la
possibilité  de  reproduire  les lettres en  indice  (mots
abrégés).  Nous gardons donc l'orthographe d'origine  sauf
pour  les abréviations,  pour lesquelles nous rétablissons
le mot entier.
  (2) Le  patronyme LELIèVRE est confirmé par le  recense-
ment de 1671, à la Montagne de l'Espérance : René MINGUET,
Anne LELIèVRE sa femme, 4 garçons, une fille.
  (3) Dutertre  "Histoire générale des Antilles" II, 428
  (4) Denis  MINGUET,  leur premier enfant,  est  né  vers
1656-1657.
  (5) Jacques  Petitjean  Roget "La société  d'habitation"
tome I page 710.
  (6) Recensement  de 1664,  89 verso,  Montagne de  Saint
Louis,  Louis DESNEUDS, 30 ans, Catherine MINGUET, sa fem-
me, 12 ans.
  (7) Registre paroissial de Basse-Terre paroisse de Mont-
Carmel :  mariage le 26 avril 1689 de Pierre PANETIER avec
Claire  Françoise MINGUET,  fille de René et Anne  LELIèRE
(sic).  Parmi les signatures,  celles d'Anne MINGUET et de
S. (? ) MINGUET.
  (8) N.D.L.R.  René  MINGUET meurt à Mont-Carmel le 21  2
1695.  Il est dit demeurant à la Montagne de Beausoleil et
âgé  de  plus de 80 ans;  on l'enterre  "proche  du  petit
chemin  qui est joignant du côté de l'évangile." Il semble
que son seul fils marié soit Jacques,  avec Marie  DUFOUR,
probablement  installés  aux Vieux-Habitants où naît  leur
fille  Anne Marthe qui épouse à Mont-Carmel le 19  3  1712
Jean PARIS, natif de ... Paris. On trouve encore le nom de
MINGUET  dans  un plan des terres du Baillif en  1733.  La
postérité  serait  donc  à rechercher au  Baillif  et  aux
Vieux-Habitants.

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Révision 26/08/2003