G.H.C. Bulletin 25 : Mars 1991 Page 292

FAIRE FORTUNE A SAINT-DOMINGUE ?
Père Huvé S.J.

     Jean-Jacques HUVé,  premier prix de Rome  d'architec-
ture  en  1770,  puis  inspecteur des bâtiments  royaux  à
Versailles et architecte de Madame Elisabeth, devint maire
de  Versailles  en 1792 mais fut révoqué  et  enfermé  aux
Carmes  sous la Terreur.  Il était fils,  avec huit autres
frères et soeurs,  de Jean HUVé, notaire, procureur fiscal
et  régisseur du château de Magnanville,  près  de  Mantes
(propriété du financier SAVALETTE de LANGES puis de M.  de
BOULLONGNE).
     L'un des frères de Jean-Jacques, Charles Louis, avait
un  riche parrain propriétaire à St Domingue,  qui l'avait
emmené  avec  lui au Cap Français  en  1768,  pensant  lui
donner  l'occasion de s'y faire une situation.  Ce fut  un
échec,  dont  la correspondance de Jean-Jacques HUVé  avec
son père contient de nombreux échos, sans pourtant fournir
d'explication précise.
     La  dernière  lettre de Charles Louis à son père  (29
janvier 1785),  arrivée après le décès de ce dernier,  fut
recueillie par Jean-Jacques qui nous l'a  conservée.  Dans
sa  correspondance avec son père,  on trouve également  la
copie  d'une  lettre  d'HUVé père au  fameux  parrain,  M.
DURECOURT (1777), qui évoque longuement la situation (1).
     Le  malheureux Louis HUVé devait périr au  cours  des
massacres  qui  ensanglantèrent Saint Domingue,  lors  des
guerres de libération des esclaves, comme l'indique l'acte
de partage de son maigre héritage en 1804,  sans donner de
détail sur les circonstances du drame.
(1) Publication de ces lettres grâce à l'amabilité de  Mme
Cocheteux, conservateur de la bibliothèque de Versailles.
                           ***

Lettre  à  Monsieur DURECOURT    Magnanville 19 aoust 1777
parein de mon fils Charles Louis

                               Monsieur

     Si  jamais quelqu'un a manqué sa fortune,  c'est  mon
pauvre fils Charles Louis votre filoeul.  Ce petit malheu-
reux  que vous aviez bien voulu attirer auprès de vous sur
vos terres,  non seulement par ce que Monsieur votre père,
qui m'honorait particulièrement de ses bontés,  vous  l'a-
vait recommandé par son testament mais encore par un effet
de  votre  tendresse et de votre bienveillance  me  voyant
chargé de 9 enfants sans fortune,  ne m'a pas laissé igno-
rer  le  soin que vous avez pris et fait prendre  de  luy;
votre  but était d'en faire un rafineur,  un homme  utile,
dans  l'espérence de le metre a même un jour de se trouver
plus heureux dans vos colonies qu'en France.  J'étois  en-
chanté  de  ces nouvelles pendant trois ans,  mais  depuis
qu'il  m'a avoüé lui même avoir manqué d'habtitude  (apti-
tude) et s'etre retiré a la Petite Anse embarcadaire  pres
le  Cap françois avec une pension de deux cens livres  que
vous  avez  bien voulu lui accorder,  et que je vois  qu'a
peine gagne-t-il pour vivre, je suis désolé : au point que
je  vous supplie Monsieur,  en faisant un  dernier  effort
pour luy,  de vous en debarasser,  je veux dire d'avoir la
bonté  de le prendre dans votre vaisseau du premier voyage
que  vous  ou Madame DEPERNAY (ou  de  PERNAY),  ferez  en
France  :  c'étoit  ce que vous vous etiez proposé il y  a
quelques  années que j'eus l'honneur d'aller vous  voir  a
Paris,  que s'il n'aqueroit pas plus de capacité,  vous le
rameneriez;  c'est une grace que moy,  et sa mère qui fond
en larmes de voir un enfant manquer son bonheur, nous vous
demandons, et sur laquelle nous allons nous reposer : nous
verrons  ce que nous en pourrons faire,  ce sera  toujours
une  consolation pour sa mère et pour moy ne dût il gagner
en  France que son pain,  puis qu'il a le malheur de  vous
être  inutile.  J'en  veux bien a ma pauvre  santé  de  ce
qu'elle  ne  me permet pas d'aller moi même vous  demander
cette grace,  vous marquer combien je suis sensible a  vos
bons offices envers cet enfans,  combien nous sommes déso-
lés de ce qu'il n'en profitte pas, et la reconnaissance et
le respect avec lesquels je serai toute ma vie
     Monsieur
                            votre &a  (&a = etc)
                             signé HUVé

                           ***

29 Jer 1785 :  reçüe quelques mois après la mort de  notre
père (de la main de Jean-Jacques HUVé)

               Mon cher Père

     Les  premiers  jours  de décembre j'ay  eu  enfin  le
bonheur  de  découvrir  des nouvelles de l'état  de  votre
santé  de celle de ma chere et digne mere et de  toute  ma
famille  et  de sortir par la de l'affreuse inquietude  ou
j'étois depuis si longtemps a ce sujet, par une lettre que
j'ay  eu  l'honneur de recevoir de vous et  où  mes  chers
freres  et seurs m'ont donné chaqu'un des marques de  leur
bon  souvenir.  Soyez  persuadé  des veux que je  fais  au
Seigneur  pour le soulagement de votre pésans  fardau  qui
vous  acâble tous les deux,  principalement dans ce renou-
vellement dannée,  et pour qu'il aye pour agréable de vous
disposer a pouvoir en suporter avec aisance, aumoins assez
pour  que  je puisse avoir lheureuse satifaction  de  vous
revoir et vous themoigner l'entiere reconnoissance que  je
vous  conserve des bons principes que vous avez bien voulu
me  donner  et  qui grace a dieu m'ont  toujour  servi  de
guides dans bien des circonstance comme dans lindigence ou
l'on croit quelquefois pouvoir tirer party du vice torrent
si  rapide y cy,  non mon cher Pere je l'ay constament  en
horreur,  de manière quil ne se passe pas de jours que  je
n'en  themoigne  mon réssentiment a baucoup et je ne  dise
pourquoi  ne suis je pas chargé d'en coriger  aumoins  une
partie? quel douce satisfaction ne doivent pas gouster mes
cher frere et seurs d'etre pres de vous et d'estre dans le
sein  d'une  aussy vertueuse famille si eloignés  de  tant
d'horreur! j'en fremis dy estre.
     Depuis  la réception de votre lettre j'ay eu  le  ma-
lheur dessuier une maladie qui me laissé apeine le pouvoir
d'y repondre c'est pour quoi j'ay tant differé.
     Vous  desirez  savoir l'état de mes  petites  affaire
cela  ne  vous donnera pas grand satisfaction mais  je  ne
laisseray pas que de vous en faire le détail.
     Le  comerce est si mauvais aujourd'huy qu'il se  fait
tous  les  jours  des  voles  etonans;   m'assosians  avec
Monsieur  DESAUBRI je ne me suis pas attendu  a  beneficié
mais je me suis apercu que malgré cela que nous aurions pu
faire  quelque  chose;  ces connoissances  qui  s'etendent
assez  loing sont peu de chose dans le détail de  comerce;
faible  a  l'extraime  aupres  de ces  esclaves  ses  yeux
sufians a peine pour le convincre des tord qu'ils luy font
et sipeu exsigans qu'il en fait des paréceux.  Il luy  est
offert  de  la terre et voudroit que j'aille  la  cultiver
avec  luy a egal benefice,  mais je luy ait deja themoigné




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