G.H.C. Numéro 27 : Mai 1991 Page 328

LOUIS DE CALBIAC (1763-1821) Marcel Favre

(N.D.L.R. La famille de CALBIAC est anciennement connue en
Agenais  et sa filiation suivie remonte au début du  XVII°
siècle.  Pierre de CALBIAC, écuyer, lieutenant du régiment
de Beauvaisis,  épousa en 1755,  à Castillonnès en Agenais
(Lot-et-Garonne),  Louise de GRENIER et fut maintenu  dans
la  noblesse en 1778 à Bordeaux.  De ses cinq fils,  l'un,
Guillaume, s'établit à Marie-Galante après avoir épousé en
émigration,  à  Norfolk,  une créole de cette  île,  Marie
Virginie Marguerite DESBOIS de BOISSULANT. Monsieur Marcel
Favre  nous  présente ici un frère  de  Guillaume,  "resté
inconnu  de tous les auteurs qui ont écrit sur la  famille
et inconnu de la famille elle-même pendant des années".)

     Louis  Pierre de CALBIAC est baptisé le 1° mai  1763,
jour  de  sa naissance,  par l'abbé de  TREMOUX,  curé  de
Castillonnès.  Son  parrain  est Louis de JOUCA  sieur  de
GRENIER (en fait,  Louis de GRENIER sieur de JOUCA) et  sa
marraine, Marie de CALBIAC de LA RIVE.
     Fut-il  cadet-gentilhomme dans la compagnie de  l'île
de  Ré,  pour les régiments des colonies?  On ne sait rien
sur  sa carrière militaire éventuelle.  Le Service  histo-
rique  de l'Armée de terre à Vincennes ne conserve  de  ce
régiment  qu'un registre de troupes de 1775 à 1779.  Or sa
demande  d'une  place  de  cadet-gentilhomme  date  du  28
juillet 1781, d'après un mémoire, établi à St Domingue, au
Cap et signé par les deux GRAMMONT et les trois CALBIAC du
régiment  d'Enghien et le CALBIAC du régiment de  Touraine
("cousins et frères").  Un autre mémoire,  établi aussi au
Cap,  le 1° août 1781,  et signé par les mêmes, établit le
désir  de  la famille que Louis soit ensuite  pourvu  d'un
emploi  dans le régiment du Cap Français.  M.  de  SABRAN,
colonel du dit régiment du Cap Français,  devait  remettre
ce mémoire au Ministre.
     Louis  est présent au baptême de Pierre Louis  Joseph
Marie  de CALBIAC,  fils de Géraud,  le 1°  août  1784,  à
Montaut-le-Vieux (Lot-et-Garonne).
     Il écrit à sa mère, de la Montagne de Port-au-Prince,
le  4 décembre 1792.  Ce document est produit par celle-ci
au directoire du district de Monflanquin (Lot-et-Garonne),
qui l'écartera, considérant Louis comme émigré.
     En 1793 il sera blessé à St Domingue (?) et considéré
comme  mort  par sa famille (supplique du 3 avril 1806  de
son père Pierre au Prince de CONDé, à Londres).
     Au  Port-de-Paix,  entre septembre 1801 et juin 1802,
il s'occupe,  avec un dénommé LATOUR-MARLIAC, des affaires
de Jean-Baptiste de MARGNET (archives des Colonies).
     En juin 1802,  LATOUR MARLIAC part pour la France  et
doit  donner  des nouvelles et une lettre de Louis  à  son
beau-frère  PASQUET.  Ce  document indique qu'il sait  son
frère Guillaume aux Etats-Unis, marié et père de famille.
     Il  serait ensuite passé dans la partie espagnole  de
St Domingue (?),  puis mort en Espagne le 4 mars  1821,  à
Brancho  Alquizan (?) après avoir reconnu un fils naturel,
Vicente de CALBIAC.

Sources :  archives familiales Calbiac (Gustave),  Calbiac
(Guy), Delpit; archives des colonies E59; archives Condé :
lettre 121, vol. 2 CXVII.
                           ***

Voici  la transcription d'une lettre de Louis de  CALBIAC,
adressée à "Monsieur PASQUET" (archives Delpit) :
                    Port de Paix le 7 fructidor an 9 (1)
                                             St Domingue

                CALBIAC à Monsieur PASQUET (2)

     Les années s'écoulent, mon cher PASQUET, les rides du
dernier  âge s'approchent et vont bientôt s'accumuler  sur
mon front sans que je puisse reprendre encore le chemin de
ma chère patrie.  En vain j'ai lutté avec effort contre ma
malheureuse  étoile,  en vain pendant douze ans j'ai bravé
sa cruelle influence, je n'ai pu jusqu'à ce jour surmonter
les obstacles qu'elle a toujours semés sur ma route et  je
me trouve,  malgré ma roideur et mon opiniâtre résistance,
aussi gros-jean comme devant. Plusieurs fois j'avais eu le
bonheur  d'arrondir une somme assez jolie qui me  laissait
envisager un retour prochain et le plus désiré au sein  de
ma famille;  mais le diable s'en est mêlé et j'ai perdu en
un instant le fruit de tous mes longs et pénibles travaux.
Un  autre  que votre frère,  mon cher PASQUET,  se  serait
rebuté  plus d'une fois et aurait de bonne  grâce  renoncé
aux  faveurs  de sa capricieuse fortune;  mais je suis  né
gascon et je vous jure que cette dame si bizarre n'aura ni
paix  ni  trêve que je ne l'aie forcée à  me  regarder  au
moins  d'un oeil plus favorable.  Aucun revers aujourd'hui
ne peut plus m'abattre;  j'ai passé par des épreuves  trop
cruelles  pour redouter celles qu'un mauvais sort peut  me
préparer  encore.  Des triples lames d'acier couvrent  mon
coeur,  il  est désormais impénétrable aux traits les plus
aigus du malheur; ma constance, quoique mal récompensée de
plus en plus,  ne fait que redoubler mon envie. Je cultive
toujours ma douce espérance,  mon bon ami, et je ne tarde-
rai pas de goûter le plaisir de revoir tout ce que j'aime,
ou je ne serai bientôt plus de ce monde.
     J'habite  toujours le Port-de-Paix.  J'y ai formé une
société avec un ami bien plus riche que moi;  je jouis  de
toute  sa  confiance.  Nous  sommes marchands en  gros  de
toutes  sortes de marchandises,  mais nous n'avançons  que
lentement.  St Domingue,  mon cher PASQUET,  n'est plus ce
qu'il était autrefois :  de mille personnes qui y  courent
aujourd'hui après la fortune, c'est beaucoup quand deux ou
trois  réussissent  à  demi.  Tout le reste  y  végète  et
s'obstine,  peut-être  mal à propos,  à vouloir s'y élever
au-dessus de la médiocrité.  Cependant,  on vient de  nous
donner  une constitution.  Tous les articles en sont sages
et favorables à la culture et au commerce.  Le général  en
chef TOUSSAINT-LOUVERTURE y est nommé Gouverneur général à
vie  de  cette  colonie,  avec  trois  cent  mille  livres
d'appointement (3).  Si l'exécution de ces nouvelles  lois
est  parfaite,  ce pays pourra renaître de ses cendres  et
redevenir  florissant,  mais  ce n'est pas l'ouvrage  d'un
jour.  La reconstruction d'un édifice ne s'opère pas aussi
promptement que sa destruction : on renverse en un instant
une  grande maison,  il faut des années entières  pour  la
relever. St Domingue est une colonie extrêmement vaste, le
fer et le feu y ont causé un ravage horrible,  le désordre
et l'anarchie y ont tout bouleversé.  Ses plaies sont bien
profondes,  il  faudra bien longtemps pour les cicatriser.
Cependant,  les cultivateurs dispersés,  errants et  vaga-
bonds  rentrent  sur leurs  habitations  respectives,  les
travaux reprennent quelque vigueur,  la tranquillité règne
et  l'on espère tout de la sagesse,  de la prudence et  de
l'activité  infatigable du gouverneur.  Il faut croire que
nous ne serons pas toujours malheureux;  la paix enfin  se
fera  et  je  pourrai peut-être travailler avec  assez  de
fruit  pour voir dans peu l'accomplissement de mes  désirs




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