G.H.C. Numéro 29 : Juillet-Août 1991 Page 356

DEPUTES A LA CONSTITUANTE : LARCHEVESQUE THIBAUD

brochures (que je t'envoie) il y a comme un échantillon de
la rage dont sont animés les Amis des Noirs;  à l'égard de
celles-là, il est inutile de te recommander la plus grande
discrétion." Mais le désir de repartir vers son île natale
est  le  plus  fort :  "Je fais des  réparations  à  notre
maison,  il  ne  sera pas bien difficile de la louer."  Ce
sera fait le 24 décembre 1791,  par l'intermédiaire de son
procureur  le  banquier  DOERNER,  à  Esprit  Boniface  de
CASTELLANE, chevalier de Malte (10).

Le mal du pays

     Au  mois  d'août,  LARCHEVESQUE THIBAUD avait  quitté
Paris  pour Bordeaux,  bien décidé  à  s'embarquer;  c'est
ainsi que, le 7 septembre, il écrit "Je ne veux plus vivre
que  pour  toi  et les enfants,  cela ne  m'empêchera  pas
d'être  utile,  autant qu'il dépendra de moi,  à la  chose
publique,  mais seulement par mes écrits (...);  ma  ferme
résolution,  ma résolution inébranlable, est de ne plus me
mêler  en aucune manière des affaires publiques.  (...) Il
est  impossible que la déclaration des droits  de  l'homme
n'anéantisse tôt ou tard l'esclavage des nègres. (...) Les
colonies  ne  peuvent  donc échapper à  ce  malheur  qu'en
prenant  des mesures efficaces pour rendre l'esclavage des
nègres  et tout ce qui s'y rapporte absolument étranger  à
l'Assemblée nationale,  mais quelles sont ces mesures ? Ce
n'est  point de rompre avec la France,  nous  ferions  une
sottise,  mais c'est de faire nous-même nos lois en ce qui
concerne notre régime intérieur. (...) La France avec tous
ses  agréments  ne vaut pas St-Domingue et  j'espère  que,
lorsque je t'aurais fait la description de ce qu'elle est,
au  moins  actuellement,  tu trouveras que les  Américains
sont fous de soupirer sans cesse après la France et de  ne
point  se plaire chez eux (...).  Et comptes-tu pour  rien
cette  déclaration  des  droits de l'homme  qui  va  faire
désormais  le catéchisme des enfants en France ?  La bonne
instruction  pour des créoles ?  Quel usage en feront-ils,
s'ils  sont  jamais  dans le cas de  retourner  dans  leur
pays ?"
  Remarquons,  premièrement,  que  ces  propos,  esclavage
exclus évidemment, sont les mêmes que tiennent les autono-
mistes  d'aujourd'hui,  deuxièmement,  que ces "universels
droits  de  l'homme" ne s'appliquaient pas  aux  esclaves,
certes, non plus qu'aux domestiques et aux femmes.

     LARCHEVESQUE  THIBAUD  s'embarque  le  lendemain,   8
septembre 1791,  sur le navire "Melville", capitaine Félix
DEMIGNOT  (11),  sans savoir que ses craintes ne sont  pas
vaines,  la révolte des esclaves ayant éclaté depuis le 21
août, réduisant en cendres la Plaine du Nord, et que c'est
un  pays natal dévasté qui le verra revenir comme  contrô-
leur  de la Marine et procureur syndic de la  Municipalité
du Cap.

Déboires et déportation

     Pendant une période d'un an environ, comme il s'était
heurté  aux autorités du pouvoir royal,  il se heurtera  à
celles nommées par la République, notamment au commissaire
civil SONTHONNAX,  qui le fera mettre en arrestation le 16
janvier  1793 et expulser.  Le 22  février,  MONGE,  alors
ministre de la Marine,  envoie une lettre à la Convention,
dans  laquelle il annonce que "les succès obtenus sur  les
révoltés donnent des espérances qui se réaliseront, si les
colons   désirent   sincèrement  la  paix   (...)   Michel
FROMENTEAU,  SERRES, Jacques DUFFAUD, SICHES, LARCHEVêsQUE
et  THIBAUD (sic),  déportés de St-Domingue par l'ordre du
commissaire civil SONTHONNAX, sont arrivés à Rochefort. Je
prie  la  Convention nationale de me faire  connaître  les
mesures  ultérieures qu'elle croira devoir prendre à  leur
égard." (12)
     Dès  son arrestation,  tous ses papiers furent saisis
et des témoins à charge vinrent faire leurs  déclarations.
A  travers  celles-ci,  il apparaît que la  vie  familiale
était très agitée.  "On aurait entendu des coups de pisto-
lets." La citoyenne Suzanne CADUSH vient témoigner "que la
dame LARCHEVESQUE THIBAUD ayant appris que Sophie, quarte-
ronne,  avait reçu trois portugaises pour prix des faveurs
qu'elle avait accordées à son mari,  les lui réclama, sous
peine  de  lui  couper  elle-même les  oreilles  avec  des
ciseaux.  Sophie ayant refusé,  la citoyenne  LARCHEVESQUE
THIBAUD  exécuta ses cruelles menaces (...) Pareille scène
faillit  recommencer  avec Fatima,  sur qui  pesaient  les
mêmes soupçons et les mêmes menaces, mais Fatima trouva de
l'argent,  ce  qui ne l'empêcha pas d'être mise en  prison
(...).  La  citoyenne LARCHEVESQUE devant suivre son  mari
pour  France  (...)  a  placé Fatima  au  service  de  ses
enfants." Signé SONTHONNAX.  Témoignage vécu, ou inventé à
partir  d'un fait sans doute réel et assez  courant,  "les
faveurs accordées" ?  Difficile à dire.  Ce qui est  éton-
nant,  c'est  que les intéressées ne se soient pas  elles-
mêmes déplacées pour témoigner. (13)

Le couple à Paris

     A  Paris,   le  couple  habite  rue  du  Boulloy   et
LARCHEVESQUE  THIBAUD  va  rédiger un  certain  nombre  de
mémoires,  pièces justificatives,  etc.  pour expliquer sa
conduite et les troubles de St-Domingue (14). Dans le même
temps,  va apparaître chez notre homme un aspect qui, s'il
est compréhensible à une époque "où les têtes volent comme
tuiles  au  vent" (selon SAINT-JUST,  je crois),  est  peu
reluisant : celui de dénonciateur.

  Le 30 brumaire an 2 (22 novembre 1793), il s'adresse aux
membres  du Comité de Salut public pour leur dire  que  le
citoyen  LEBORGNE qui vient de la Martinique "est un indi-
vidu  agent  de la faction brissotine qui a  des  missions
secrètes" et qu'il faut,  sinon l'arrêter, du moins mettre
les scellés sur ses papiers.  Il signale également  "qu'on
lui  a  écrit  de St-Domingue pour dire  qu'il  doit  être
arrivé   une  députation  des  commissaires  POLVéREL   et
SONTHONNAX  laquelle est chargée d'une mission terrible et
qui tend à compléter la perte de St-Domingue.  Parmi cette
députation  se trouve BOISROND,  l'un des agents les  plus
affidés  de RAIMOND." Exemple même du  genre  d'accusation
bâties  à partir de rumeurs,  de ragots,  de rancunes (ici
envers  les  mulâtres) et qui enverront à  l'échafaud  des
centaines de victimes.

  Le 13 frimaire an 2 (5 décembre 1793),  il sera témoin à
charges au tribunal révolutionnaire contre Antoine  Pierre
Léon DUFRESNE, officier de santé, habitant de St-Domingue,
qui  avait écrit être rentré en France "pour me soustraire
à  la  férocité  humaine  (...),  mais je  suis  tombé  de
Charybde  en Scylla,  la France n'étant plus  qu'un  vaste
échafaud." DUFRESNE sera guillotiné le lendemain (15).
  En ventôse, il renvoie une médaille représentant la nuit
du  4  août 1789,  en don patriotique pour la  guerre,  en
signalant que, si elle est fort belle, "l'effigie de Louis



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