G.H.C. Numéro 35 : Février 1992 Page 510

La famille VALLET en Guyane (XVIII° siècle)
Docteur Yves Hervé

     Si  les demoiselles VALLET n'avaient pas,  comme dans 
la vieille chanson de marine,  "armé un bâtiment",  origi- 
naires  de La Rochelle,  il est probable  qu'elles  débar- 
quèrent  en  Guyane (du moins en ce qui concerne  l'aînée) 
avec  leur  père,  Athanase  Bonaventure  VALLET,  écuyer, 
contrôleur des guerres,  au moment de la dramatique  expé- 
dition de Kourou, en 1763.

    On sait combien fut désastreux le "grand dérangement", 
pour reprendre l'expression de nos cousins Acadiens. Orga- 
nisé  (si  on  peut dire !) par  TURGOT,  frère  du  futur 
ministre,  avec l'appui de CHOISEUL, tous deux espérant en 
retirer de substantiels bénéfices,  il contribua, avec les 
déportations politiques de la Révolution et l'instauration 
du  bagne en 1851,  à créer pour notre vieille colonie  de 
France  Equinoxiale une déplorable réputation :  celle  de 
"cimetière des Européens", réputation qui fut longtemps la 
sienne et qu'elle est pourtant loin de mériter !

     Athanase Bonaventure VALLET faisait sans doute partie 
des "cadres" de l'expédition.  Il arrivait avec son épouse 
Elisabeth CORBUN et,  semble-t-il,  deux enfants nés à  La 
Rochelle,  François  et Thérèse VALLET,  celle-ci née vers 
1760. L'accompagnait également son beau-frère Jean CORBUN, 
négociant,  qui épousa à Cayenne,  le 15 avril  1765,  une 
créole,  Catherine SIMON,  fille de Thoams SIMON, receveur 
des douanes du Roy,  et de Marie Gertrude GOBERT. C'est le 
premier  acte  concernant cette famille que j'ai  retrouvé 
sur  les registres paroissiaux de Cayenne,  ce qui  semble 
donc  bien situer leur arrivée à l'époque de  l'expédition 
de  Kourou,  sans en apporter une certitude  absolue.  Par 
contre,  nous  avons cette certitude concernant  un  autre 
VALLET,  Jean Baptiste VALLET de FAYOLLE,  sur lequel nous 
reviendrons  un peu plus loin,  ce dernier semblant  avoir 
des liens étroits avec la famille VALLET-CORBUN.

     Mais revenons sur ce patronyme de "VALLET". l'onomas- 
tique  nous apprend qu'il n'a pas cette connotation un peu 
péjorative qu'on lui attribue a priori.  Il vient en effet 
de  ces  varlets d'armes  du  Moyen-Age,  jouvenceaux  qui 
jouaient  le  rôle  d'écuyers auprès  des  chevaliers.  Il 
dérive  d'ailleurs de "vasselets" :  petit vassal,  et  ce 
rôle est toujours illustré de nos jours par les valets  de 
jeux de cartes :  Lahire,  Ogier, etc. Notons aussi qu'une 
commune, sur la route de Nantes à Cholet, porte ce nom.

     Une   deuxième  fille  naquit  au  foyer   d'Athanase 
Bonaventure  VALLET et d'Elisabeth CORBUN,  le 15 novembre 
1766   à  Cayenne,   et  fut  prénommée  Marie   Catherine 
Elisabeth.  Sa  soeur aînée et elle (qui se trouvent  être 
toutes deux mes quintaïeules) eurent une vie que l'on peut 
qualifier  d'animée,  dignes des luronnes de la chanson  à 
laquelle  je  faisais  allusion  au  début,  et  qui  peut 
s'expliquer,  sinon s'excuser,  par, d'une part, la dispa- 
rition  prématurée de leur père,  décédé le  23  septembre 
1769  à  45 ans,  après une brève carrière dans le  négoce 
local,  d'autre  part,  par la période  troublée  qu'elles 
traversèrent,  à l'époque de leur épanouissement, la Révo- 
lution  ayant,  en  Guyane  comme  ailleurs,  entraîné  un 
certain  relâchement des moeurs.  Il apparaît  alors  que 
Thérèse  et  Marie-Catherine envoyèrent allègrement  leurs 
bonnets (phrygiens ?) par-dessus les moulins.

     Qu'on  en juge :  Thérèse VALLET épousa d'abord  fort 
sagement un jeune juif converti,  Jean François PRUDHOMME, 
le 28 septembre 1777.  Celui-ci, né à Besançon, était fils 
de Jean PRUDHOMME,  banquier de la Compagnie des Indes, et 
d'Anne  Charlotte  Sophie de  MOREAU.  Le  mariage  devait 
presser  car  elle  mit au monde  un  fils,  Louis  Jérôme 
PRUDHOMME,  né  le  6 mai 1778,  donc légèrement plus  tôt 
qu'il  n'eût  été décent.  Bientôt veuve,  à  l'époque  du 
Directoire,   quelques  années  plus  tard,  elle  fit  la 
connaissance   de  Jean  LEMBERTH,   sous  lieutenant   au 
bataillon national de la Guyane, ci-devant 2° bataillon du 
53° régiment, né en Sarre, à Blickweiller, duché des Deux-
Ponts,  et elle en eut une fille,  Anne Thérèse, née le 1° 
décembre 1796 et reconnue par le père,  qu'elle épousa six 
mois plus tard, le 22 mai 1797.
     Sa  jeune  soeur,   Marie  Catherine  VALLET,  suivit 
l'exemple  de son aînée et donna le jour,  le 30 septembre 
1798,  à Marie Joséphine VALLET, née de père inconnu. Elle 
épousa  le  1°  juillet  1801  Martial   BLONDIN,   maître 
menuisier,  fils  de Jean BLONDIN et de Marie Anne DUBOIS, 
dont,  profitant  des nouvelles lois  républicaines,  elle 
divorça en 1802.
     Leur frère,  François VALLET, marié le 12 juin 1792 à 
Catherine  CHARNAL,  en eut une  fille,  Louise  Elisabeth 
VALLET,  née le 12 avril 1793, et... divorça le 1° octobre 
1798.
     Nous  voyons  que,  sur  le plan de  la  liberté  des 
moeurs, cette époque n'avait rien à envier à la nôtre !

     Parallèlement  à l'existence des demoiselles  VALLET, 
se  déroulait  à Cayenne et à Roura celle de  leur  proba- 
blement  proche  parent  Jean  Baptiste  Marie  VALLET  de 
FAYOLLE. Celui-ci, né à Marennes, fils de Pierre VALLET de 
SALIGNAC,   écuyer,  conseiller  contrôleur  des  guerres, 
seigneur de Maul, Laperuzade, Luzac et autres lieux, et de 
dame Jeanne Elisabeth VOLLAND,  fut commis principal de la 
comptabilité  de Cayenne en 1765,  officier de  milice  en 
1769,  puis  député de Roura en 1777 à une Assemblée colo- 
niale réunie à l'intitiative de MALOUET. Il mourut à Paris 
le 14 janvier 1785,  après avoir effectué des travaux  sur 
la boussole et la force de l'aimant.
 Il avait épousé à Cayenne :
ax 25 juin 1765 Marie LEBLANC, native de Bayonne, fille de    
   Pierre LEBLANC et demoiselle ROU 
   A  ce  mariage,  étaient témoins  Athanase  Bonaventure 
   VALLET (son oncle ?) et Jean CORBUN.
bx 2 décembre 1769 Marie LEMOYNE, fille de Jean LEMOYNE et 
   de Marie MARTELLI.
   témoins : de LA RIVIèRE, CORBUN.

     Jean  Baptiste  Marie VALLET de FAYOLLE semble  avoir 
été un personnage assez turbulent,  si on en juge par  une 
correspondance  du  6  octobre 1765,  trois pages  que  je 
résume ici :
  Il  se  réclame  d'abord  des  services  rendus  par  sa 
famille :
ses  deux  grands-pères VALLET  et  VOLLAND,  chargés  des 
fournitures, voiles et chanvres de la Marine;
son père,  resté deux ans à Riga pour ses fournitures,  et 
ancien Directeur général des gabelles;
son  oncle VALLET de LA TOUCHE a eu la fourniture générale 
des vivres de l'armée d'Italie;




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