G.H.C. Numéro 42 : Octobre 1992 Page 659

COMPTES RENDUS DE LECTURE
Pierre Bardin

            Les Caraïbes des Petites Antilles
               Gérard Lafleur, 264 p., 130F
           Karthala 22-24 bd Arago, 75013 Paris 

     En ce 12 octobre 1492, Charles VIII roi de France est 
inquiet des nouvelles qui lui parviennent d'un peu partout 
en  son  royaume,  notamment de Bretagne  où  les  Anglais 
viennent d'occuper Concarneau, malgré les traités de paix. 
D'Espagne  lui sont parvenues des informations plus rassu- 
rantes,   notamment  la  victoire  sur  les  Sarrazins  et 
l'éviction des Juifs.  L'une d'elle le fait  sourire,  qui 
lui  apprend  qu'un  certain COLOMB est parti  avec  trois 
bateaux  depuis le trois août dernier,  en  faisant  route 
vers l'Ouest. Quelle idée ! Qu'espère-t-il trouver par là-
bas  ?  Notre  roi ne sait pas encore que ces trois  cara- 
velles,  au  moment où il apprend  leur  départ,  viennent 
d'aborder sur une île, à laquelle COLOMB donnera le nom de 
San  Salvador,  et que ce voyage verra la découverte  d'un 
monde  totalement inconnu dont les peuples  seront  exter- 
minés,  les  richesses  pillées,  les cultures  détruites.  
Plus tard, on le nommera Amérique. 
     Cinq cents après, des historiens, grâce à la masse de 
documents  dont nous disposons,  peuvent aujourd'hui faire 
le  point  sur ce qui n'était au départ que  la  recherche 
d'une nouvelle route vers les Indes. Parmi ces historiens, 
notre  ami Gérard Lafleur nous présente "Les Caraïbes  des 
Petites  Antilles",   seul  peuple,  aujourd'hui  disparu, 
constamment présent aux XVIIe et XVIIIe siècles,  lutttant 
pour  sa  survie,  élément  essentiel et permanent  de  la 
diplomatie  ainsi  que  de la guerre entre  la  France  et 
l'Angleterre,  les Caraïbes sachant très bien utiliser  la 
faiblesse des parties en présence.  D'autant qu'un élément 
imprévu  sera le moteur de cette lutte du peuple  caraïbe. 
Ce   sont   ces  fameux  "Caraïbes   noirs",   descendants 
d'esclaves transportés d'Afrique,  dont le navire espagnol 
s'échoua  sur une des Grenadines.  Les survivants  s'inté- 
greront,  de  gré ou de force,  aux "Caraïbes  rouges"  et 
imposeront leur suprématie, notamment, sur l'île de Saint-
Vincent. 
     Et pourtant,  au début, les rapports ne furent pas si 
mauvais;  des alliances furent conclues,  des mariages  se 
nouèrent  (à Sainte-Lucie,  le gouverneur LA RIVIèRE avait 
pour femme une "Galibie");  on les retrouvera,  après  des 
des  péripéties sanglantes,  en Guadeloupe,  à  Bouillante 
(1).Le  roi  les  considérait  "comme ses  sujets  et  les 
voulait instruire dans la religion catholique".  Pourtant, 
éliminés de la Guadeloupe et de la Martinique,  il ne leur 
resta plus que la Dominique, Saint-Vincent et Sainte-Lucie 
où,  à  partir  de 1763,  après le traité  de  Paris,  ils 
luttèrent seuls contre les Anglais,  sauf au moment de  la 
Révolution  où  Victor HUGUES tenta en leur  compagnie  de 
mettre  fin  à l'occupation anglaise.  Le héros en fut  le 
célèbre CHATOYER,  mort en combattant. L'opération révolu- 
tionnaire échoua et vit la fin définitive des Caraïbes  en 
tant que peuple constitué.  Les survivants qui échappèrent 
aux massacres vivraient à Belize ou au Honduras (2).
     En  Guadeloupe,   les  derniers  descendants  étaient 
établis sur une réserve jusqu'au début de ce siècle,  dans 
le nord de la Grande-Terre (Anse Pistolet, Portland, Anse-
Bertrand  où,   en  1852,  se  trouvait  le  quartier  des 
Caraïbes).  En  1882,  ils avaient envoyé une pétition  au 
Ministère  de  l'Intérieur pour défendre leurs  droits  en 
vertu des traités signés antérieurement (3).  Ils finirent 
pas se fondre définitivement dans la population. 
     Comme  l'écrit  fort  bien Gérard  Lafleur  dans  cet 
ouvrage passionnant, "à partir du moment où les puissances 
européennes    en   expansion   s'intéressèrent   à   leur 
térritoire, les Caraïbes, en tant que nation indépendante, 
étaient  condamnés à disparaître." Le "bon Sauvage"  était 
laissé aux ratiocineurs des Lumières. 
   
   (1)  voir  également sur cette  famille  la  généalogie 
établie par Yvain Jouveau du Breuil (GHC 27,  mai 1991, p. 
324 à 327)
   (2) dans GHC 18, juin 1990, p. 166-167, Arnaud Vendryes 
traite de ce sujet,  à travers la correspondance de Victor 
HUGUES. Voir également GHC 31, octobre 1991, p. 314-315.
   (3) Gérard Lafleur cite ici un extrait de "Nos Créoles" 
du docteur CORRE,  médecin qui vécut aux Antilles à la fin 
du siècle dernier,  auteur de quelques ouvrages dont  nous 
espérons une réédition.  

       Anse Bertrand, une commune de la Guadeloupe
               Jean Juraver et Michel Eclar
                      Karthala, 95F

     Sous  la  plume d'un Pointois,  Jean Juraver,  et  de 
Michel Eclar,  distingué confrère né à Anse-Bertrand,  une 
courte  mais intéressante monographie sur  cette  commune, 
peut-être "isolée" des circuits touristiques,  où pourtant 
les sites magnifiques et magiques ne manquent pas,  pointe 
de  la  Grande  Vigie,  Anse Pistolet,  trou de  la  Porte 
d'Enfer (je ne vous conseille pas de vous y baigner), trou 
Madame Coco, etc.
     On peut sans doute regretter que les auteurs  n'aient 
pas  pris en compte l'évolution historique ni celle de  la 
population avant 1848. Par contre, à partir de l'abolition 
de  1848 et sur l'état civil qu'il fallut créer de  toutes 
pièces, ils montrent bien l'employé d'état civil obligé de 
se  livrer à une gymnastique intellectuelle  insensée,  où 
tout  était  bon  pour trouver un  patronyme  à  l'esclave 
affranchi :  toponyme,  palindrome,  anagramme, références 
bibliques ou florales,  etc.  L'analyse des noms créés est 
fort intéressante.       
     Importance   du  sucre  et  des  distilleries  :   La 
Berthaudière,  Beaufond (1).  C'est aussi à  Anse-Bertrand 
que naquit un des peintres les plus réputés de Guadeloupe, 
Armand BUDAN (2).  Une commune à connaître si le  tourisme 
vous  y mène,  et ne manquez surtout pas de déjeuner  chez 
Prudence, on n'est pas "reine des cuisinières" pour rien. 
     Si  vous partez pour la Guadeloupe,  emprtez dans vos 
bagages cet ouvrage dont la seule prétention est de  faire 
découvrir  un  paysage  d'une  grande  beauté  (la  Grande 
Falaise),  une  Guadeloupe peu connue,  dernier refuge des 
Caraïbes jusqu'au début de ce siècle.

   (1)  sur  l'origine  de  ces  noms,  voir  "La  famille 
RUILLIER",  par Huguette Voillaume,  numéro spécial de GHC 
(Filiations n° 1), 130 p. (90F + 10F de port; GHC p. 147)
   (2) voir,  par Jean-Paul Hervieu, l'ascendance d'Armand 
BUDAN  (GHC 29,  juillet 1991,  p. 379-380) et "Généalogie 
et Histoire de la famille BUDAN de RUSSé et des BUDAN" par 
Dominique Budan de Russé et Philippe Gautrot,  p. 120 (GHC 
40 p. 627 et 41 p. 633)




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