G.H.C. Numéro 48 : Avril 1993 Page 783

Le début de la révolte de Saint Domingue dans la Plaine
du Cap, vécu par Louis de Calbiac

Cambefort (33),  pour se justifier un peu,  s'est mis à la 
tête  d'une  petite  armée et jusqu'à présent  il  a  fait 
merveille).  Nos  forces  sont  occupées  actuellement   à 
réduire  Le  Dondon,  La  Marmelade,  la  partie  de  Fort 
Dauphin, Ouanaminthe, etc.
 Le  curé  du Limbé qui a été trouvé parmi  les  rebelles, 
nommé le père Philémon, capucin, a été pendu au Cap il y a 
trois  jours.  Une trentaine de femmes blanches prises  et 
délivrées  par  M.  de  Thouzard dans  l'église  de  cette 
paroisse  ont déposé contre lui des horreurs :  il forçait 
ces  malheureuses  victimes à partager sa  couche  tour  à 
tour.  Il n'est aucune d'elles qui n'ait reçu, par l'ordre 
de  ce monstrueux animal,  plusieurs cent coups de fouets. 
Quand il se dégoûtait de quelques unes de ces  infortunées 
ils  les mariaient avec les chefs de nègres  révoltés.  De 
quoi  deviendront  ces infortunées ?  Dans leur  désespoir 
elles ont demandé qu'on leur permît de se renfermer, de se 
cacher  pour toujours dans le couvent des  religieuses  du 
Cap.
 Cette  aventure doit vous éclairer un peu sur la conduite 
d'un  ancien  père gardien des  capucins  de  Castillonnès 
accusé,  si je m'en souviens bien, plus que de convoitise. 
Fiez-vous  encore à ces longues barbes !  Voilà le  second 
qu'on  a exécuté au Cap dans le cours de cette guerre pour 
semblables forfaits.  Croyez m'en,  ma chère mère, tout ce 
qui porte froc ne vaut pas le diable !

Le décret du 24 septembre 1791 contre les mulâtres

 Le décret envoyé par M.  Bégouin,  rendu par  l'Assemblée 
Nationale le 24 septembre,  casse,  annule celui du 15 mai 
et  laisse  à la colonie le soin de disposer à son gré  du 
sort des hommes de couleur libres. Voilà le coup de foudre 
qui les abîme et les anéantit. Ils l'ont bien mérité. Nous 
allons voir comment ils recevront un si terrible soufflet.

 Ceux du Port au Prince, se sentant foudroyés par ce juste 
décret,  ont voulu jouer de leur reste mais les habitants, 
appuyés par ce même décret,  se sont montrés si fermes que 
la  peur  s'est emparée de ces lâches.  Ils n'ont pas  osé 
commettre  le  moindre  désordre;   ils  sont  aujourd'hui 
tremblants et paralysés dans leur fort  (aujourd'hui,  ils 
l'ont abandonné et La Croix des Bouquets est toujours leur 
point de réunion).

 Ceux  du  Cap se sont soumis avec respect  à  l'Assemblée 
Coloniale,  ils  ont paru indignés de la conduite de leurs 
frères  d'Ouanaminthe et du Port au Prince et ont  demandé 
avec ardeur qu'on les fit marcher contre ces brigands etc. 
Ils  ont  parlé en hommes sages et soumis  et  l'Assemblée 
Coloniale  leur a juré qu'elle se ressouviendrait dans  le 
temps de tous ceux d'entre eux qui s'étaient toujours bien 
comportés  etc.  Voilà où en sont les  choses  maintenant. 
Vous voyez que nos affaires commencent à prendre une bonne 
tournure  et  qu'il  y a même presque  certitude  qu'elles 
seront  terminées heureusement avant un mois,  avant  même 
peut-être  l'arrivée des troupes de France.  Il sera beau, 
il  sera glorieux pour cette colonie d'avoir  triomphé  de 
tant  d'ennemis  avec une poignée d'hommes et  sans  avoir 
reçu le moindre secours de ses voisins.
 Je  croyais que nous touchions à la fin de nos  malheurs, 
mais  une  fatalité cruelle en ordonne  autrement.  On  se 
débite ici à l'oreille que le Port au Prince est réduit en 
cendres et que c'est là l'ouvrage de la fureur barbare des 
perfides  mulâtres.  On  n'ose  pas encore  publier  cette 
nouvelle  affreuse.  O ma patrie,  tu voleras trop tard  à 
notre secours !

 Les  horreurs qui ont eu lieu dans cette ville infortunée 
le 21 et le 22 de novembre ne se sont que trop confirmées, 
une troupe effrénée de mulâtres ayant paru les armes à  la 
main  devant le Port au Prince.  Les habitants indignés se 
rallient  sous  les drapeaux d'Artois et de  Normandie  et 
marchent  avec  les braves guerriers  contre  les  ennemis 
toujours  plus acharnés à notre perte.  Ils s'étaient déjà 
emparés du poste le plus avantageux,  du morne Belair, qui 
domine  la ville.  Ils paraissaient inattaquables et  leur 
armée était plus nombreuse que la nôtre,  mais elle  avait 
moins  de  courage.  Malgré  un feu terrible  nos  troupes 
gravissent le morne, se rangent en bataille et engagent le 
combat.  Pendant trois heures la victoire fut  incertaine, 
nous  n'avions  pas  encore  gagné un  pouce  de  terrain, 
lorsqu'enfin on fondit sur ses brigands la   baïonnette au 
bout  du fusil.  Ils ne purent soutenir une si  vigoureuse 
attaque,  on  les  rompit et on en fit un  grand  carnage, 
mais,  ô comble de malheur, tandis que nous triomphions de 
nos  ennemis  au  dehors,  une  autre  troupe,  non  moins 
enragée,  renfermée  au dedans pour favoriser la  retraite 
des  mulâtres  battus,  pillait,  saccageait,  brûlait  le 
malheureux Port au Prince.  Cette catastrophe imprévue fut 
la  fin du combat.  Les quartiers les plus riches de cette 
ville ont été dévorés par les flammes, la perte est incal- 
culable. Ces monstres se sont encore réunis à La Croix des 
Bouquets et répandent la terreur dans tous les environs.
La  connaissance  des  nouvelles  lois,  la  certitude  de 
l'arrivée de MM.  les commissaires civils,  tout cela leur 
est  égal :  ils annoncent pour preuve de leur amour  pour 
l'ordre, pour la paix, et de leur respect pour les décrets 
nationaux,  qu'ils marcheront de nouveau contre le Port au 
Prince  et  que leur dessein est de tout incendier sur  la 
route et d'égorger sans distinction d'âge ni de sexe  tous 
les blancs qui se présenteront.
 Les  Cayes  et Jérémie ont aussi  éprouvé  les  terribles 
effets  de  la  torche et du feu homicide,  mais  nous  ne 
tarderons  pas,  j'espère,  à mettre à la raison tous  ces 
perturbateurs féroces et insensés.

 Il  paraît  aujourd'hui une adresse des  nègres  révoltés 
dans la plaine du Cap campés à la Grande Rivière, elle est 
du  6 décembre.  Cet écrit est un chef d'oeuvre de  philo- 
sophie  et de morale,  nous ne savons pas quels  sont  les 
honoraires qu'ils ont alloués à leur secrétaire.  Ce qu'il 
y  a  de certain c'est qu'ils ne sauraient  mieux  choisir 
(qui sera bien servi si ce n'est le roi, dit-on).
Cette adresse est trop longue pour que je vous la rapporte 
ici, vous la verrez quelque jour dans les papiers publics. 
Voici la réponse qu'on y a fait :

(33) Joseph   Paul  Augustin  de  Cambefort,   colonel  du 
régiment du Cap jusqu'en Mai 1792, fait maréchal de camp.




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