G.H.C. Numéro 50 : Juin 1993 Page 806

Au Surinam, il y a deux siècles (1793)
Bernadette et Philippe Rossignol

      Un  aimable chercheur qui travaille au CARAN sur  la 
période  révolutionnaire a signalé il y a quelques  années 
déjà  à  la "dame des îles" (ainsi  me  surnommait-il,  me 
voyant  travailler  depuis  des mois sur la  Série  E  des 
Colonies)  quelques  cartons de la Série F7 (Police  Géné- 
rale) qu'il trouvait intéressants et méconnus.

     Il s'agit de neuf cartons (4413/1 à 4419) de "lettres 
interceptées  et  papiers saisis" sur un  ou  des  bateaux 
entre  le Surinam (Guyane hollandaise) et  l'Europe.  Bien 
entendu   presque  tous  les  documents  sont  rédigés  en 
hollandais.  Ce  sont  des  lettres  personnelles  et  des 
lettres   d'affaire,   des  inventaires  et   comptes   de 
"plantages"  (habitations ou plantations) en beaux cahiers 
reliés  ou feuilles volantes,  des gazettes  et  almanachs 
imprimés.  On  y  trouve  aussi  une ou  deux  lettres  en 
anglais, un petit ensemble de documents de juifs portugais 
et enfin un certain nombre de pièces en français qui  font 
l'objet de cet article.  Nous espérons que des historiens, 
généalogistes, chercheurs hollandais découvriront ainsi et 
étudieront ce fonds apparemment inconnu et inexploité.
     Vous  trouverez à la fin de cet article la liste  des 
lettres en français et en portugais chacune étant précédée 
d'une lettre majuscule (de A à W),  lettre qui servira  de 
référence et de renvoi dans le cours de la rédaction.

     Disons  quelques  mots  d'abord  des  papiers  de  la 
famille  SARUCCO  -juifs portugais- (C).  Joseph de  Simon 
SARCELO  écrit  le  15 juillet 1793 à  Samuel  de  Josseph 
SARUCCO  à  Amsterdam pour lui annoncer le  décès  de  son 
frère  Simon de Josseph SARUCCO;  le faire-part est joint, 
rédigé  en  portugais et entouré de phrases  en  hébreu  : 
Simon,  décédé  le  1er novembre 1792,  avait 61  ans.  On 
trouve  aussi le certificat de vie,  daté du 15 juillet  à 
Paramaribo,  de  sa veuve Hana SARUCCO née RODRIGUES  (qui 
signe divers reçus et envoie procuration à son  beau-frère 
Samuel  de  Josseph  SARUCCO à Amsterdam) et de  sa  fille 
Rahel.  Enfin les autres documents montrent qu'il y a  des 
affaires de commerce à régler.
     Une  autre  lettre (N),  en hébreu  cette  fois,  est 
adressée  par LAPENYE à Gabriel et Daniel DA COSTA GOMES à 
Amsterdam.

     La  lecture  de quelques lettres en  français  laisse 
supposer  que le navire pris était américain.  Mais  peut-
être  s'agit-il de deux ou plusieurs  navires  différents. 
J.A. FROUIN écrit le 13 mai (A) "par l'occasion d'un petit 
bâtiment  du  Nord de l'Amérique dont le  capitaine  s'est 
engagé  à  passer  en droiture en Hollande" et  envoie  le 
duplicata de sa lettre du 1er avril qui est sur un  bateau 
"encore retenu à Paramaribo". Sur l'enveloppe d'une lettre 
du  10 mai (F) est écrit "par le navire américain La  Mary 
capitaine  Christoph TILDIN.  Il s'agit là de deux lettres 
de mai;  il y a quelques lettres de mai,  quelques lettres 
de  juin  et  la  majorité des  lettres  est  de  juillet, 
jusqu'au 16.

     Ces  différents documents donnent une idée de la  vie 
quotidienne, des difficultés dues aux circonstances et des 
opinions des habitants de Paramaribo sur ce qui se  passe. 
Nous pouvons donc évoquer plusieurs thèmes.

I La vie au Surinam

1/ Le pays et la "société"
     Voilà ce qu'en dit un nouvel arrivé (V): "Le pays est 
beau  et frappe surtout par ses rivières bordées de belles 
habitations et dont les riches produits ont quelque  chose 
d'imposant.  La  ville n'est pas belle quant aux bâtiments 
mais par sa situation et la largeur de ses rues elle offre 
un coup d'oeil fort agréable. (...) Pour la société, il se 
peut  qu'elle  ait des agréments pour ceux  qui  sont  ici 
depuis  longtemps  pour la trouver telle (...) J'ai  assez 
d'occupations pour me passer de cette ressource."
     Un français raconte à une amie, un peu amèrement (R):
"Je  n'ai  d'autre  société que mon vieux SCHILLIN  et  ma 
musique toutes les semaines. Jadis j'allais souper chez le 
gouverneur,  nous  fumions notre pipe ensemble,  mais  ces 
temps ne sont plus."
     Un  jeune  homme récemment rentré  d'Europe  dans  sa 
patrie et sa famille explique à son "très cher ami" (M):
"J'attends  la sécheresse pour vous expédier des noix  qui 
ne  nous  arrivent que dans cette  saison.  Dans  quelques 
semaines  d'ici,  peut-être  un de nos amis  partira  pour 
l'Europe:  je tâcherai alors de vous procurer un délicieux 
petit singe (...).  Mon père fait le plus beau sucre qu'on 
puisse  voir  et toute l'entreprise contre laquelle  on  a 
tant  crié  ici  nous réussit on ne peut  pas  mieux.  Mes 
parents  s'y trouvent si bien que depuis mon  arrivée  ils 
ont  quitté  la maison en ville et demeurent  toujours  au 
plantage,  n'en étant qu'à deux lieues.  Je puis y être en 
moins d'une heure de cheval; ainsi j'y passe la plupart de 
mon  temps avec quelques bons amis,  ce qui fait que  nous 
passons notre temps le plus agréablement possible et, dans 
la retraite, les passions humaines ne pouvant exercer leur 
empire, nous ne connaissons ni critique ni envie."

2/ Les cultures et le commerce

     Nous avons déjà indiqué qu'il y a de nombreux comptes 
de  "plantages"  en  hollandais.  Rien  de  tel  dans  les 
documents  en français mais seulement quelques  allusions. 
On  parle  surtout  du sucre et,  l'année ayant  été  très 
pluvieuse,  des dommages subis par les cannes.  En juillet 
on  est encore occupé à cueillir les fèves de café  et  on 
espère  une  bonne récolte de coton "si les  chenilles  ne 
détruisent pas les cotonniers comme l'an dernier." (E)
     Mais les renseignements les plus intéressants sur les 
cultures  et surtout les conditions d'expédition en Europe 
des  produits  nous sont donnés par ANDREE  qui  tient  un 
"comptoir"  et  s'inquiète  du  souhait  exprimé  par  son 
correspondant M.  de VERNèDE DE CORNEILLAN,  en son nom et 
en celui de ses cohéritiers,  de recevoir les produits par 
envois  séparés  à chaque cohéritier et non plus en  masse 
vendue et partagée à l'arrivée en Europe.  Pour convaincre 
son  correspondant de ne rien changer à ce qui se  faisait 
jusque là, il explique en détail tout le processus d'expé- 
dition (W):
"Il  est  bien  plus avantageux pour  chaque  héritier  en 
particulier  que  tout reste sur  le  pied  d'aujourd'hui, 
c'est-à-dire  que les produits soient envoyés en masse  et 
que  chacun  des  intéressés reçoive sa part  du  provenu. 
Autrement  il ne sera guère possible d'éviter des  contes- 
tations  qui auront des suites onéreuses et  désagréables. 




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