G.H.C. Numéro 52 : Septembre 1993 Page 844

ÉMIGRATION
Guy Stéhlé

Acte  d'émigrer,  c'est-à-dire  de quitter son  pays  pour 
aller se fixer dans un autre.
L'émigration   peut   avoir   des   raisons   économiques, 
politiques ou religieuses,  être temporaire ou définitive, 
se réaliser de façon individuelle ou organisée, voire même 
être réglementée.

     C'est  à  l'émigration que la Guyane et  surtout  les 
Antilles françaises doivent leur peuplement.  Ces  émigrés 
quittèrent  successivement  l'Amérique centrale ou du  sud 
(Arawaks et Callinagos),  puis l'Europe (colons blancs) ou 
l'Afrique  (esclaves  noirs)  et  enfin  l'Asie  (Indiens, 
Chinois, Syro-libanais, Mhongs) ou d'autres territoires de 
la Caraïbe (Sainte-Lucie,  Dominique,  Haïti,  Surinam...) 
pour venir se fixer dans nos îles ou en Guyane.

     En  contrepartie  de ces apports  de  population,  il 
s'est également produit,  à diverses époques, sous l'effet 
de  conditions économiques défavorables ou en raison de la 
conjoncture politique, des départs des Antilles françaises 
ou  de  Guyane vers des pays voisins de la Caraïbe  ou  la 
France métropolitaine.
Ainsi,  à  partir de 1961,  sous la pression de  la  forte 
croissance   démographique   dont  l'impact  n'était   pas 
compensé  sur  place par la création d'emplois  en  nombre 
suffisant,  un  fort courant d'émigration s'est  développé 
vers   la  Métropole.   Ce  phénomène   contemporain   est 
relativement bien connu grâce aux statistiques officielles 
et  aux recensements de population.  Le lecteur  intéressé 
par  une étude plus approfondie de ce phénomène pourra  se 
reporter à RECENSEMENT (*).

     Ce  que  l'on sait moins,  c'est que  ces  mouvements 
d'émigration  ne sont pas vraiment nouveaux,  même si dans 
le passé ils n'atteignaient pas la même ampleur.  On  peut 
citer pour mémoire :
- les migrations, parfois non négligeables, de colons lors 
des  changements  d'appartenance,   entre  la  France   et 
l'Angleterre, des îles des Antilles;
- le  transfert  des "Allemands" (des Alsaciens  en  fait) 
vers les hauteurs du Matouba en Guadeloupe, en 1766, suite 
à l'échec de l'expédition guyanaise du Kourou;
- l'émigration  en 1902,  après l'éruption de la  Montagne 
Pelée,  de Martiniquais vers la Guyane, où ils ont créé le 
village de Montjoly.  Cette expérience se traduisit par un 
échec dont le souvenir n'est pas effacé.

     Trois exemples notables d'émigration de Guadeloupéens 
ou  de  Martiniquais  vers d'autres  terres  d'accueil  de 
l'espace caribéen méritent d'être décrits.

     Les Guadeloupéens réfugiés en Martinique pendant
          la période révolutionnaire (1794-1796)

    La période révolutionnaire a donné lieu, en Guadeloupe 
(Basse-Terre  et Grande-Terre) et à Marie-Galante,  à  des 
mouvements migratoires liés au déroulement des événements.
Tout d'abord,  en 1792, lorsque les Royalistes triomphent, 
beaucoup de "Patriotes" s'estimant menacés s'enfuient vers 
la Martinique.  Deux ans plus tard,  lorsqu'ils reviennent 
en  force  avec Lacrosse,  c'est au  tour  des  Royalistes 
d'émigrer.

     Le  2 juin 1794,  Victor HUGUES débarque  en  Grande-
Terre  et  entreprend  aussitôt  de  chasser  les  Anglais 
installés  en Guadeloupe.  A la prise du Camp de Berville, 
en octobre 1794,  de nombreux colons qui ont combattu dans 
les rangs anglais sont passés par les armes.  A partir  de 
ce moment et jusqu'en décembre,  la plupart des colons qui 
ont pris parti pour les Anglais sont contraints d'émigrer, 
parfois  sous  la menace directe de Victor Hugues.  Il  se 
forme  alors,   à  travers  les  Antilles,  une  véritable 
diaspora  de  Guadeloupéens :  la Dominique à  elle  seule 
accueillit  deux mille émigrés.  Nombreux sont  ceux  qui, 
ayant  des  parents en Martinique,  alors occupée par  les 
Anglais,  se fixent à Saint-Pierre. La masse des émigrants 
est blanche, constituée surtout de gens du peuple, souvent 
de  petits  colons,  mais  aussi de  membres  de  familles 
influentes  de  Guadeloupe.   Néanmoins,   les  hommes  de 
"couleur" ne sont pas absents et, parmi les "libres", il y 
a de nombreuses femmes.
L.R.  Abénon  et M.  Dauphite,  à partir des registres  de 
Saint-Pierre,  évaluent leur nombre à plusieurs centaines, 
peut-être 800, rien que pour cette ville.
Il  semble  bien que cette émigration pour  la  Martinique 
n'ait  été que temporaire,  les émigrés formant un  quasi-
isolat;  dès  qu'ils le peuvent,  ces réfugiés qui ont fui 
pour éviter la répression retournent en Guadeloupe.

     L'émigration antillaise vers Panama (1904-1913)

Au   début   du  XXème  siècle,   plusieurs  milliers   de 
Guadeloupéens et de Martiniquais ont émigré vers le Panama 
pour participer,  aux côtés d'Américains,  d'Européens  et 
d'autres  Caribéens,  aux  travaux de creusement du  Canal 
inter-océanique.  Les  facteurs essentiels qui ont  poussé 
ces  personnes à s'embarquer pour Colon,  souvent de façon 
définitive,  sont  les  crises  sucrières  successives  et 
        l'éruption de la Montagne Pelée.

Les recrutements d'ouvriers sous contrat étaient effectués 
par  la  Compagnie américaine du Canal qui  organisait  le 
transport  des émigrants.  Les registres du Canal,  du  28 
octobre 1914, montrent que la Compagnie a ainsi recruté en 
Martinique  :  2.733 personnes en 1905,  585 seulement  en 
1906,  et 2.224 en 1907. En définitive, sur les dix années 
qu'ont  duré  les travaux,  5.542  Martiniquais  et  2.052 
Guadeloupéens auraient été recrutés.  Encore faut-il noter 
que  ces  évaluations sont sans doute  sous-estimées,  car 
elles  n'incluent pas les départs individuels;  de  plus, 
après la fin des travaux et jusqu'au cours des années  20, 
des  individus  sont allés rejoindre des membres  de  leur 
famille qui s'étaient installés au Panama.
     Les conditions de travail difficiles et les  maladies 
ont  été la cause de nombreux décès.  Non loin de l'écluse 
de Miraflores,  dans le cimetière de Paraïso, reposent des 
Antillais  décédés pendant la construction du  Canal;  une 
stèle y a été édifiée à la mémoire des Français.
Pour  les familles restées sur place et leurs descendants, 
la vie n'a pas été toujours facile,  malgré la création  à 
Panama-City, en 1917, d'une société de secours mutuel, "La 
Fraternité",  qui regroupe, aujourd'hui encore, les Marti- 
niquais et Guadeloupéens de Panama. Il a fallu 13 ans pour 
que  les  lois  discriminatoires prises à  l'encontre  des 
émigrés soient abrogées.




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