G.H.C. Numéro 52 : Septembre 1993 Page 846

LE DOCTEUR CLèDE
Willy Alante-Lima


       A Gérard Clède

     Beaucoup  de  lecteurs s'étonneront  probablement  de 
découvrir  un  tel  patronyme qui "sonne"  si  peu  guade- 
loupéen, d'autant plus qu'il n'est guère grand monde de sa 
lignée  qui  existe  encore en  Guadeloupe,  encore  moins 
quelque plaque de rue ou stèle commémorative rappelant aux 
passants  son  souvenir,  hormis à Grand-Bourg  de  Marie-
Galante, où le maire d'alors, Jean GIRARD, dédia son nom à 
un modeste dispensaire en août 1984.

     Pourtant,  il  fut,  en  ce siècle,  l'une  des  plus 
grandes figures de la médecine aux Antilles.

     En  ce temps-là,  il était appelé par  la  population 
"Doctè  en  nous" (1),  car c'est une locution  qui  avait 
alors  un  sens et pouvait s'employer à  son  égard.  Pour 
parler  clairement,  le  docteur CLèDE a sa place dans  la 
galerie  des  portraits  que nous tentons  de  créer  pour 
perpétuer la mémoire de quelques figures oubliées,  telles 
Suzanne MELVIL BLONCOURT ou Alexandre PRIVAT d'ANGLEMONT.
Le  souvenir  que nous avons gardé de lui est  celui  d'un 
puissant et grand géant blanc, au visage orné d'une barbe-
fleuve,  le torse pris dans une sorte de vareuse à la  Mao 
ou  chère  à l'ancienne maréchaussée.  Nous avons  dit  un 
géant car, étant bien jeune, notre échelle de vision était 
peut-être   inversement  proportionnelle  à  notre  taille 
d'alors  !...  Si  aujourd'hui nous avons  la  possibilité 
d'esquisser  sa  biographie,  nous  la  devons  aux  notes 
confiées par son fils Gérard, un ami d'enfance.

     CLèDE,  Eugène,  Marie, Jean, est né à Patillas, le 7 
août 1881,  aux environs de Guayama,  dans l'île de  Porto 
Rico,  fils de Jean CLèDE, lui-même né à Aubin, à 3 km. de 
Pau  (Pyrénées  atlantiques).  Il fut baptisé  dans  cette 
petite  ville portoricaine,  située à 12 km.  de  Guayama, 
comme l'atteste le registre paroissial.

     Son  père,  Jean CLèDE,  né à Aubin  en  1830,  d'une 
famille de cultivateurs, avait quitté sa terre natale dans 
les années 1850-60. Il avait épousé Cécile, Emilie COLLIN-
RICHARDIèRE,  originaire  de la  Guadeloupe,  d'ascendance 
créole   probablement.   De  cette  union  naquirent  deux 
enfants,  une  fille  qui devint  madame  LEMOINE,  et  un 
garçon, le futur docteur Eugène CLèDE.
     Les  grands-parents,  Jean  Pierre  CLèDE  et  Jeanne 
LAHARIGUE étaient originaires d'Aubin. Il semble que ceux-
ci  aient fait partie de ces familles françaises  du  sud-
ouest  de  la  France qui,  au milieu  du  XIXème  siècle, 
émigraient vers les Amériques.
   Les aïeux maternels, Anselme, Armand COLLIN-RICHARDIèRE 
et Madeleine Caroline LESCLAN,  sont,  eux, originaires de 
Guadeloupe.

     Un  important  événement historique - la révolte  des 
colonies  hispano-américaines - contraignit Jean CLèDE  et 
les siens à quitter Patillas pour émigrer à la Guadeloupe. 
Heureuse  initiative,  car  en 1898 ce fut  la  Révolution 
portoricaine  :  un aviso américain débarquait en rade  de 
San  Juan  et le Gouverneur remit les clés de la  ville  à 
l'envoyé des Etats-Unis.

   A la Guadeloupe, Jean Pierre CLèDE achète une propriété 
qui  porte  encore son nom et est devenue un  lieudit  des 
environs   de   Petit-Bourg,   d'où  le  qualificatif   de 
"Habitant"  figurant sur son acte de  décès.  Propriétaire 
terrien,  Jean  Pierre  CLèDE meurt à  Petit-Bourg  le  16 
décembre 1893, à 15 heures, âgé de 63 ans.

     Connaissant  l'homme que fut le docteur CLèDE (Eugène 
Marie Jean),  nous pouvons dire que ce métissage  culturel 
autant que biologique le prédisposait à avoir une certaine 
idée  de la profession élue par lui pour en faire un véri- 
table apostolat,  lequel dans la mémoire collective marie-
galantaise  lui est affectueusement  crédité,  mais  qu'il 
paiera chèrement.

     En 1893,  il a douze ans. On peut conjecturer que ses 
premières études faites en espagnol furent complétées  par 
la  suite  dans  la langue paternelle.  Il  est  plus  que 
probable  qu'il ait terminé ses études au lycée Carnot (2) 
de Pointe-à-Pitre,  mais on n'en trouve aucune trace  dans 
les  archives de l'établissement.  Nous savons  cependant, 
lors  d'un  entretien que nous avons eu en 1991 avec  feue 
mademoiselle Yvonne BLONCOURT,  quasi centenaire,  que  le 
jeune  Eugène  CLèDE rencontrait souvent son frère Max  au 
domicile familial pour leur travail en commun de lycéens.

     En tout cas,  il est certain qu'Eugène CLèDE obtint à 
vingt ans,  le 31 juillet 1901,  un Certificat  d'aptitude 
par  la  Commission d'examen de la Guadeloupe,  et se  vit 
conférer,  le  15  mai 1904,  le diplôme de  Bachelier  de 
l'Enseignement secondaire classique :  il est alors âgé de 
23 ans.  Il part alors pour Paris,  s'inscrit à la Faculté 
de  médecine en première année,  sous le  matricule  2086, 
avec  comme  professeur  le  doyen  DEBOVE,  ainsi  qu'une 
éminence  d'alors,  le professeur BINET.  Un certificat de 
l'Ecole pratique,  en date du 24 décembre 1904,  signé  du 
Chef des travaux anatomiques, dit :

          "Monsieur,

     Parmi  les  137 élèves du pavillon n° 5 qui ont  subi 
l'examen d'ostéologie,  le jeudi 22 décembre, il en est 13 
qui ont obtenu la note "extrêment bien. Vous faites partie 
de  ces  étudiants  d'élite  et  je  m'empresse  de   vous 
féliciter".
     En  1911,  âgé de trente ans,  il obtint le grade  de 
docteur en médecine, avec la mention "bien".

De retour à la Guadeloupe, en 1912, il s'installe à Grand-
Bourg de Marie-Galante sur les conseils de son confrère le 
docteur Firmin DANGLEMONT,  se marie le 26 avril 1925 avec 
une  mulâtresse  guadeloupéenne,   Cécile  Isabelle  Edmée 
CORONER,  institutrice,  de  laquelle il eut deux enfants, 
Gérard et Nadia.  Il meurt, le 21 avril 1934, à cinquante-
trois ans.

     Retracer bonnement la biographie de Jean Marie Eugène 
CLèDE, même si déjà elle se laisse remarquer, n'aurait pas 
grande signification.  Ce qui nous importe,  c'est surtout 
de faire revivre l'homme dans sa fonction,  et en tant que 
simple citoyen.




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