G.H.C. Numéro 52 : Septembre 1993 Page 855

Polémique à la Martinique
Arnaud Vendryes

     Le  30 avril 1777 arrivait à la  Martinique  François 
Claude  Amour,  marquis de BOUILLÉ,  qui venait prendre le 
poste de gouverneur des Iles du Vent.

     Cet  Auvergnat d'origine,  dont Michelet nous apprend 
qu'il était cousin de LAFAYETTE, dut faire face rapidement 
aux  récriminations  des Anglais qui prétendaient que  les 
navires  américains étaient les bienvenus dans  les  ports 
des Antilles françaises. Nous allons voir qu'il y répondit 
avec  toute  la politesse  nécessaire,  ajoutant  quelques 
phrases  émouvantes  à  l'histoire  de  la  longue  amitié 
franco-britannique.

1. Rebelles ? Quels rebelles ?

     M.  Edouard HAY,  gouverneur de la  Barbade,  s'étant 
plaint des facilités offertes aux Américains,  s'attira en 
réponse  de  la part de BOUILLÉ la lettre  suivante,  dans 
laquelle il n'est pas impossible que se cache l'ombre d'un 
soupçon d'ironie (Col C/8a/76 folio 118, 24 06 1777) :

     "Les  troubles qui divisent aujourd'hui  l'Angleterre 
nous sont entièrement étrangers : nous ne pouvons pas plus 
favoriser  ceux que vous appelez rebelles,  que vous seuls 
pouvez  désigner  ainsi,  et que nous ne  connaissons  que 
comme  habitants  de l'Amérique  Septentrionale,  que  les 
autres  sujets de Sa Majesté  britannique.  Vos  querelles 
vous  sont  particulières,  mais la nation anglaise  n'est 
qu'une pour nous, ainsi Anglais et Américains ont indiffé- 
remment  droit aux procédés que se doivent  réciproquement 
toutes  les  nations civilisées et  trouveront  les  mêmes 
avantages  que nos ports et notre commerce offrent à  tous 
les  peuples  avec  lesquels nous sommes en  paix,  en  se 
conformant  à  nos  lois  et  aux  ordonnances  de   notre 
commerce. C'est d'après ces principes que votre Excellence 
trouvera  toujours  justice et protection de ma part  pour 
tous  les  sujets du roi d'Angleterre que  leurs  affaires 
appelleront ici."

2. Quant à la populace de vos îles...

     Malgré  la pertinence irréfutable de  cette  réponse, 
les  Anglais continuèrent à émettre quelques remarques sur 
la fréquentation des ports des Antilles françaises. Et pas 
toujours sur ce ton uni et conciliant qui caractérise  les 
réunions  de  copropriétaires...  Ainsi  de  ce  texte  de 
William Mathieu BURT,  gouverneur d'Antigues (Col C/8a/77, 
05 01 1778) :

     "J'ai  aussi  reçu,  Monsieur,  des avis certains  et 
positifs,   par  des  personnes  dignes  de  foi,  que  la 
Martinique,  votre Gouvernement,  est un nid de pirates et 
que les bâtiments des Américains rebelles arboraient  leur 
pavillon et conduisaient leurs prises publiquement dans le 
Fort  Royal  où le Général fait sa résidence,  et dans  la 
rade de St Pierre où M.  BINGHAM, l'agent de l'Amérique du 
Nord,  réside, qui reçoit et dispose des prises... Je vous 
demande,  Monsieur,  au nom du roi de la  Grande-Bretagne, 
France  et Irlande,  mon maître,  une prompte satisfaction 
pour les vols piratiquement (sic) commis par  M.  PREGENT, 
que  lui et ses bâtiments soient arrêtés et qu'un  exemple 
public soit fait des pirates...

     Si cette conduite est continuée par votre Excellence, 
à  présent  que tous les pirates américains rebelles  sont 
noblement chassés de la Guadeloupe,  elle donnera lieu  de 
croire   le  bruit  qui  a  depuis  quelque  temps   couru 
publiquement,  que  c'est en vain que le gouverneur écrive 
au général de la Martinique pour demander satisfaction des 
armements des corsaires américains,  ou des bâtiments  par 
eux  pris,  puisque le gouverneur de la Martinique  reçoit 
15% sur toutes les prises conduites dans son gouvernement: 
ce bruit en est si injurieux,  que personne jusqu'ici, n'y 
a ajouté foi, à l'exception du bas peuple...".

BOUILLÉ répondit à cette missive le 30 janvier suivant :
     "J'ai  reçu  votre  lettre du 5 de  ce  mois.  Je  ne 
répondrai  pas  aux  invectives  et  aux  injures  qu'elle 
renferme  :  le caractère dont je suis revêtu m'empêche de 
vous  en demander raison,  et la paix qui règne entre  nos 
deux nations s'oppose aux moyens que je pourrais avoir  de 
me  faire justice.  Il me reste donc à vous assurer que je 
mets  au rang des choses les plus indifférentes  l'opinion 
que  vous pouvez avoir de ma  conduite  qui,  heureusement 
pour moi,  a des censeurs plus justes et plus éclairés que 
la populace de vos colonies...
     Quant  à M.  PREGENT que vous dîtes être armé sur  un 
corsaire,  il  n'est  pas sujet du roi  de  France,  étant 
canadien   et   du  nombre  de  ceux  que   vous   appelez 
rebelles...".

     François  Claude  Amour,  marquis de  BOUILLÉ,  était 
encore à la veille de son entrée dans l'histoire.  Il  fit 
en  1778  la  conquête  de la  Dominique,  puis  celle  de 
plusieurs autres îles dont Saint-Eustache.
     Au début de la Révolution, il fut dans sa garnison de 
Metz  comme  l'ultime  recours  de  la  Monarchie,   aussi 
longtemps  du  moins qu'il put avoir  confiance  dans  ses 
troupes. D'après Michelet, 
"l'avis  de la Reine fut toujours de partir,  de se  jeter 
dans  le camp de M.  de BOUILLÉ,  de commencer  la  guerre 
civile".
     Ce  fut lui qui réprima de la façon la plus sévère la 
mutinerie  militaire de Nancy en août 1790.  Il  participa 
avec FERSEN à l'organisation de la "fuite de Varennes"  en 
juin 1791 et ne put en empêcher l'échec. 
     Il émigra et,  retournement du destin,  le conquérant 
de  la  Dominique s'installa en Angleterre vers la fin  de 
1792,  combattit  contre  la France dans  l'armée  du  duc 
d'York et mourut à Londres le 14 novembre 1800 (comme nous 
l'a  appris  une  Bibliographie  universelle  ancienne  et 
moderne, "rédigée par une société de gens de lettres et de 
savants", éditée à Paris en 1812).

NOUS AVONS REÇU

Du Conseil général de la Guadeloupe (antenne de Créteil) :

  Diaspora, le Magazine des Guadeloupéens de la Diaspora
6  exemplaires  du n° 2 (pas de date ni de prix) nous  ont 
été envoyés par l'antenne de Créteil,  9 avenue du général 
Pierre Billotte,  94000 Créteil : des informations sur les 
actions  du  Conseil  général et  beaucoup  d'adresses  en 
Guadeloupe à travers les publicités. 




Page suivante
Retour au sommaire
Lire un autre numéro





Révision 14/03/2004