G.H.C. Numéro 61 : Juin 1994 Page 1068

LA FAMILLE DEVEZEAU AUX ANTILLES

"A Léogane, ce 16 février 1739

Monseigneur

(remercie  des  deux lettres à son sujet envoyées à Mr  de 
LARNAGE,  gouverneur)  L'une  est pour  lui  confirmer  ma 
noblesse  (...).  L'autre est sur un mémoire que mon  fils 
avait présenté au sujet d'une discussion que mon voisin me 
fait  de me donner un chemin conforme au réglement du Roy, 
ce  qui dure depuis nombre d'années (ce  voisin  s'appelle 
LEMERE  (14),  conseiller  au conseil  de  Léogane).  J'ai 
sollicité Mr de FAYET (11) pendant trois ans pour le prier 
de me rendre justice. Mr DUCLOS (15), ci devant intendant, 
y  était  fort porté mais,  comme  ils  étaient  brouillés 
ensemble,  mon  affaire fut remise à l'arrivée de Mr de LA 
CHAPELLE (16) et, sans vouloir s'instruire du réglement du 
Roy,  rendirent un jugement pour confirmer l'injustice que 
l'on m'avait faite. (a envoyé toutes les pièces à son fils 
pour  se pourvoir au conseil du roi;  Mr de LARNAGE  avait 
suggéré d'en parler à Mr d'ORGEVILLE (17) qui trouva qu'il 
était dans son droit;  Mr de SARTRE (18) était mort  avant 
d'avoir pu donner son avis).
Mr MALIARD (19) étant arrivé et très occupé à des affaires 
plus importantes et partant pour le Cap, mon affaire à été 
remise à leur retour; il y a longtemps que je souffre pour 
l'exploitation de ma sucrerie faute de ce chemin."   

(Nota  :  nous avons corrigé l'orthographe,  qui est  très 
fantaisiste  pour les dernières lettres.  Vous en avez  un 
exemple dans la façon d'écrire "incendie")

  Les  ministres  de  la Marine à  qui  ces  lettres  sont 
adressées sont :

Jérôme PHéLYPEAUX comte de PONTCHARTRAIN 1699-1715
Jean Frédéric PHéLYPEAUX comte de MAUREPAS 1723-1749

          Quelques réflexions sur ce qui précède

     Si  nous avons cité si longuement ces  pièces,  c'est 
qu'elles sont riches en informations sociales, politiques, 
économiques,  etc.  en  cette  première moitié  du  XVIIIe 
siècle  où  tout se met en place après les premiers  temps 
des  aventuriers  et  flibustiers et  ceux  des  premières 
concessions.
     On  y voit la rivalité entre les pouvoirs au début de 
St-Domingue : le pouvoir administratif du gouverneur et de 
l'intendant, qui ne s'entendent pas entre eux, en plus; le 
pouvoir militaire des troupes de terre et de marine, celui 
des lieutenant de roi,  majors, commandants de quartier et 
autres;  le pouvoir des conseillers au conseil  supérieur; 
et,  bien  après,  celui  des milices entre leur  première 
création  en  1705 et la réforme de 1732  où  les  milices 
cessent   enfin   d'être  des  régiments  dépendants   des 
officiers  des troupes pour être des  compagnies  indépen- 
dantes.  Dans  une  telle complexité,  c'est à  celui  qui 
criera le plus fort ou qui aura l'oreille du gouverneur... 
le ministre est si loin et les liaisons sont si lentes !
     On  y  voit qu'il y a d'une part les "réglements"  ou 
"instructions" venus de France et des bureaux ministériels 
et d'autre part la pratique qui s'en écarte souvent.
     On  y  voit  l'importance des  "honneurs",  dans  les 
églises en particulier :  que de pages des correspondances 
officielles  et  des  lettres  des  dossiers  privés  sont 
consacrées aux bancs dans l'église !
     On  y  voit  le  peu d'importance  aux  isles  de  la 
noblesse,  en ce début du XVIIIe siècle,  par rapport  aux 
soldats  sortis  du  rang et aux artisans  ou  autres  qui 
peuvent  grimper vite dans l'échelle sociale et prendre le 
pas sur la vieille noblesse venue de France :  la  société 
n'était  pas  figée alors aux isles,  au grand  dépit  des 
rares nobles. 
     On  y  voit  ou entrevoit que ce qui se  faisait  aux 
"Isles  du Vent",  plus anciennement  organisées,  pouvait 
servir  de modèle ou de référence dans une  Saint-Domingue 
si  débutante qu'on ne savait pas s'il fallait  dire  "St-
Domingo" ou "St-Domainge".
     On y voit les problèmes de distance,  ici,  entre "la 
Partie  de  l'Ouest" (Léogane) et "la Partie du Nord"  (Le 
Cap),  quand l'intendant ou quelqu'autre autorité est dans 
l'une ou va y partir alors qu'on demeure dans l'autre.
     On  y  voit  la chasse aux nègres  marrons  dans  son 
organisation  pratique et les "corvées" qui consistent  en 
nombre  de  nègres  à prêter pour  les  travaux  d'intérêt 
général.
     On  y  voit l'importance des "chemins"  ou  droit  de 
passage  à travers l'habitation du voisin,  à l'origine de 
nombreux procès.

     On y voit... mais que chacun découvre donc ici ce qui 
l'intéresse !

Notes  (dont l'essentiel est tiré de l'index de Moreau  de 
St-Méry  établi  par Blanche Maurel et Etienne  Taillemite 
mais  aussi  de l'inventaire de la série  Colonies  A  par 
Odile  Krakovitch.  Toute  notre reconnaissance  pour  ces 
travaux de patience !)

  (1) François Joseph comte de CHOISEUL-BEAUPRé, capitaine 
de  vaisseau  (1705),  gouverneur de  St-Domingue  (1706), 
révoqué en septembre 1710, mort au combat en mai 1711.
  (2) Jean Joseph de BRACH d'ELBOS (1660-1755) major à St-
Domingue  en  1699,  lieutenant de roi au Port-de-Paix  en 
1701 puis à Léogane, gouverneur de St-Louis (1724).
  (3) Transcription de cet ordre ci-après.
  (4) Jean Jacques MITHON de SENNEVILLE,  commissaire à la 
Martinique (1697), conseiller au conseil supérieur (1703), 
commissaire  ordonnateur à St-Domingue (1708),  subdélégué 
de l'intendant des Iles (1713),  commissaire général à St-
Domingue (1716),  intendant de St-Domingue (1718).  Mort à 
Toulon en 1737.
  (5) Iles du Vent : Martinique, Guadeloupe.
  (6) L'Ester, ancien nom du quartier de Léogane
  (7) Laurent de VALERNOD,  officier de terre,  gouverneur 
de  la Grenade (1709),  gouverneur de St-Domingue  (1710), 
mort au Petit-Goave le 24 mai 1711.
  (8) probablement César de SANTO-DOMINGUE, né à Nantes en 
1675,  enseigne  des vaissaux du roi et major à Léogane en 
1710,  lieutenant de roi au Petit-Goave en 1720,  mis à la 
retraite  en 1721,  mort à Léogane en 1739.  Sur lui et la 
famille  SANTO-DOMINGO voir la généalogie publiée  par  la 
revue  du Centre généalogique de l'Ouest en 1992,  n° 71 à 
73.





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