G.H.C. Numéro 62 : Juillet-août 1994 Page 1116

Aman SOUQUES ou Un gascon à la conquête du sucre antillais au XIXe siècle
Nicolas Javary

   La famille Souques est souvent évoquée dans le cadre de 
l'histoire industrielle et politique de la Guadeloupe,  et 
principalement par un seul de ses membres  Ernest Souques. 
On  oublie alors un peu vite que cet Ernest avait un  père 
dont la destinée mérite d'être rappelée.  Aman Souques fut 
le  premier  à venir à  la  Guadeloupe.  Entrepreneur,  il 
essaya  de faire évoluer le système agricole sucrier  vers 
une véritable industrie,  et tenta,  avec quelques autres, 
d'apporter  des  solutions concrètes aux multiples  crises 
qui frappèrent le sucre de canne au XIXe siècle.

Originaire de Saint-Gaudens (Haute-Garonne),  Aman Souques 
(1801-1877) arriva à la Guadeloupe au début du XIXe s.  et 
précisément  en Grande-Terre,   au Port-Louis.  Docteur en 
médecine,  il  était  le  fils d'Hilarion Souques  (né  en 
1771),  procureur impérial à Saint-Gaudens,  et de  Simone 
MONTALèGRE (née en 1777).
Le  nom  de  sa mère est important car c'est  grâce  à  sa 
famille  maternelle qu'il vint en Guadeloupe,  et particu- 
lièrement  avec  deux de ses oncles  Audibert  et  Sylvain 
Montalègre.

Audibert  Montalègre  (né en 1778),  docteur en  médecine, 
franc-maçon,  aide major à l'infanterie de ligne,  se fixa 
en  Guadeloupe dans les toute  premières années  du  XIXe,  
et,  en 1804, épousa la fille d'un planteur du Port-Louis, 
Louise MAMIEL de MARIEULLE (1).  Il reprendra la propriété 
de   son   beau-père  qui  deviendra  alors   l'habitation 
"Montalègre".
Sylvain Montalègre (né en 1784),  docteur en médecine  lui 
aussi, s'installa un peu plus tard et se maria en 1811, en 
Guadeloupe,   à Anne-Perrine CHARROPPIN. Il acheta en 1819 
à  M.  Léon  DUARTE de  CASTELS,   l'habitation  Jolibois, 
située  au  Port-Louis,   qui  devint  alors  l'habitation 
Sylvain.  Elle  ne  pouvait prendre le nom  de  Montalègre 
puisque la propriété de son frère le portait, ce fut alors 
le  prénom  que l'on prit!   Sylvain Montalègre mourut  en 
1845 en cette habitation.
Enfin,  il reste à signaler qu'un troisième de ses oncles, 
Jean-Marie-Bertrand Montalègre vivait sur l'île, mais à la 
Guadeloupe  proprement  dite (appelée  aujourd'hui  "Basse 
Terre").  Il avait épousé aussi une blanche créole, Marie-
Thérèse LEMORNE JUMAUDIèRE (2) et possédait une habitation 
au Lamentin.

Le "Docteur Souques", arrive au Port-Louis vers 1827. Il a 
26   ans  et  achète  sa   première   habitation,   "Casse 
Moustache".
Fort  de  l'expérience de ses oncles,  il adopte  la  même 
politique "matrimoniale" et , en 1828, épouse une fille de 
propriétaire terrien,  Zoë Guerry.  Elle était la fille de 
Jean-Pierre GUERRY,  habitant sucrier à l'Anse-Bertrand et 
de Clémence-Eléonore Garein.

Ils  eurent  11 enfants dont 3 moururent en bas  âge.  Les 
cinq premiers,  Auguste (1829),  Amantine  (1830),  Ernest 
(1831),  Uranie  (1832) et Léontine (1834),  naquirent  en 
l'habitation   de  leur  grand-père  Guerry.   Les   trois 
derniers,  Amédée (1836), Clémence (1837) et Lydie (1841), 
virent le jour en l'habitation de leur père, Beauport.
L'habitation  Beauport,  au Port-Louis,   fut achetée  par 
Aman Souques en 1836.  Elle était auparavant, depuis 1813, 
la propriété de Pierre-Guillaume Ruillier-Beauport (3) qui 
la  tenait  lui-même  de  sa  mère,   Anne-Marthe  Titéca-
Beauport. Ce sont ses fils qui la vendront à Aman Souques.

A  cette  époque  il avait déjà perdu deux de  ses  oncles 
Montalègre, Audibert et Bertrand.

Quelques années plus tard, il acheta l'habitation Lalanne, 
située  de  même au Port-Louis.  Il y fera  construire  un 
caveau  pour  sa fille Léontine qui,  de  santé  délicate, 
mourut jeune. Les souvenirs de famille nous disent qu'elle 
faisait  beaucoup de peinture sur  porcelaine.  Ce  caveau 
existe toujours,  ceint d'une grille rouge et regardant au 
loin la mer. 
Décidé  à faire entrer l'industrie chez lui,  Aman Souques 
fit  installer  à Beauport,  en 1843,  l'un  des  premiers 
moulins à vapeur de Guadeloupe. En 1845, il acheta l'usine 
"La  Trinité",   toujours  au  Port-Louis.   Puis  il  fit 
construire sur son habitation Beauport,  un "petit château 
à  la  française",   selon  l'expression  restée  dans  la 
famille. Il n'existe plus de nos jours.

Ses  conquêtes industrielles ne lui firent pas oublier  la 
médecine et, docteur, il sut prendre soin de la population 
locale  et  s'attirer l'estime  des  habitants,  comme  la 
tradition  nous  l'a rapporté.  Il devint ainsi  maire  du 
Port-Louis  vers 1845 et le resta environ 20 ans.  Il sera 
conseiller général de Guadeloupe et chevalier de la Légion 
d'honneur.

A la libération de l'esclavage,  en 1848, il fit figure de 
planteur  "modèle",  comme l'écrit Alain Garnier  en  1990 
"Par son autorité et un salaire, même minimum, mais effec- 
tivement  payé,  il était capable de maintenir sa  récolte 
(...).  Alors  que la plupart des colons (...) prédisaient 
la pire apocalypse."
A cette époque, il était donc propriétaire des habitations 
Beauport,   Lalanne,  Casse-Moustache  et  de  l'usine  La 
Trinité.  Il avait reçu de sa femme l'habitation Guerry et 
par  les Montalègre,  l'habitation Sarragot.  Son  domaine 
s'étendait sur 700 à 800 hectares.

En  1860,  Beauport  est la 8ème habitation de  l'île  par 
l'importance  de sa production,  qui s'élève à 175 tonnes, 
pour une moyenne habituelle de 76 tonnes.

En 1861, Aman Souques décida de sauter un nouveau pas vers 
l'industrialisation  et,  sous  l'impulsion  de  son  fils 
Ernest, créa une nouvelle usine qui sera une des premières 
"usine  centrale"  de  Guadeloupe.  Il  le  fit  grâce  au 
concours  de  la  Société "Jean-François Cail  &  Cie"  de 
Paris, qui fournirent l'outillage nécessaire.

Toutes ces modernisations supposèrent d'énormes  investis- 
sements  qui furent payés bien souvent par emprunts auprès 
du Crédit Colonial demandant lui-même des hypothèques.  Ce 
fort endettement se révélera critique quelques années plus 
tard lorsque la crise sucrière s'aggravera.






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