G.H.C. Numéro 63 : Septembre 1994 Page 1123

Gaspard BAYON, sénéchal de Guadeloupe

     Mais  les  temps heureux n'allaient pas tarder  à  se 
terminer.  Une  autre fille naissait chez les BAYON un  an 
après,  en avril 1773 et l'aînée mourut en janvier 1776, à 
"trois ans neuf mois". La mère était alors bien malade et, 
peu  après,  il fallut l'embarquer d'urgence pour  France. 
Elle  arriva à Brest le 13 avril 1776,  après 34 jours  de 
mer,  sur "L'Oiseau",  frégate du roi.  Son commandant, le 
chevalier de BEAUSSET, explique ainsi cette faveur (8) :
 "J'ai  aussi  ramené  en France Madame  BAYON,  femme  du 
sénéchal et lieutenant général de l'amirauté de la  Guade- 
loupe, dont la santé, absolument détruite par le climat de 
l'Amérique,  la  mettait  dans  le plus grand  danger  d'y 
succomber  si elle ne retournait très incessamment sur  sa 
patrie; son état était tel qu'elle n'aurait pas pu risquer 
de  passer  sur  un navire marchand  parce  qu'elle  avait 
absolument   besoin  qu'un  chirurgien  veillât   sur   sa 
situation  pendant  la  traversée.  J'ai  cru  devoir  aux 
prières  de  Mr BAYON,  dont la place et la  considération 
dont il jouit dans cette colonie méritent des égards, et à 
l'état  malheureux  de cette jeune femme bien  faite  pour 
intéresser par sa triste position,  leur rendre ce service 
important.  Je  ne  l'ai  fait  cependant  qu'après  avoir 
consulté Mr d'ARBAUD et m'être assuré de son  approbation. 
Je  me suis flatté,  Monseigneur,  que vous ne  désapprou- 
veriez point cet acte d'humanité et d'honnêteté.

     Peu avant,  en 1775,  une réorganisation dans l'admi- 
nistration  de  la  justice de la Guadeloupe  retrancha  à 
BAYON  plusieurs  quartiers de sa  juridiction,  réunis  à 
celle de Pointe-à-Pitre,  ce qui "diminua les produits  de 
sa place." Le président de PEYNIER demanda alors pour lui, 
en octobre 1775,   en compensation de cette suppression de 
traitement  et en raison de ses services,  une pension  de 
1000 livres,  "déjà accordée au sieur BORDE, juge du Fort-
Royal,  pour  les mêmes raisons".  Elle lui fut finalement 
accordée le 19 juillet de l'année suivante, 1776.
     Mais  les ennuis continuaient.  Il demanda,  en  août 
1777,  un  congé  d'un an  pour  raison  de  santé.  Cette 
demande  fut  faite à ses deux autorités  de  tutelle,  le 
ministre  de  la  marine et l'Amiral.  Celle  de  l'Amiral 
arriva  la première et,  sans attendre celle du  ministre, 
établie  le 19 décembre 1777 mais pas encore  parvenue  en 
Guadeloupe,  il  s'embarqua  le  17 février  1778  sur  la 
gabarre du roi "La Truite", pour Brest. Le sieur MOREAU de 
MAISONNEUVE, procureur du roi à Basse-Terre, fut chargé de 
ses  fonctions de juge en son absence,  le sieur  PATRIAT, 
premier substitut,  faisant fonction alors de procureur du 
roi.
     Peu après son arrivée,  il fit une demande en augmen- 
tation  de  1000 livres de sa pension,  en tant  que  plus 
ancien  des  juges  de la  colonie.  Cette  demande  était 
appuyée par celle des gouverneur et intendant, d'ARBAUD et 
PEYNIER,  qui mettaient en avant sa conduite et sa fermeté 
dans  la procédure criminelle contre les sieurs LABORDE et 
ROBEN  et leurs complices.  La demande fut  rejetée  :  il 
n'avait fait que son devoir de juge !
     Quelques  mois  plus tard,  sa femme mourut et  BAYON 
écrivit du cours de Tourny à Bordeaux,  le 13 avril  1779, 
pour  annoncer  ce décès et demander une  prolongation  de 
congé  d'un  an  (qui lui fut accordée) pour  résoudre  la 
"suite d'affaires et d'embarras" que cela occasionnait  et 
"pourvoir à l'éducation de sa fille". 
Il  resta  en  France,  négligeant  de  demander  d'autres 
prolongations de congé. En 1783, il fallut pourtant régler 
sa situation.  Il fournit alors un certificat de santé  de 
MOUILLARD,  médecin  à  Marseille,  daté  du  31  janvier, 
attestant  qu'il  était "atteint tous les ans au début  de 
l'été  d'un flux hémorroïdal et  sanguinolent,  accompagné 
d'obstructions dans les viscères du ventre et de l'estomac 
qui en interrompent les fonctions et l'obligent à observer 
un  régime doux et rafraîchissant et s'abstenir  de  toute 
occupation  sérieuse jusqu'au commencement de l'hiver  qui 
fait  cesser sa maladie et ses symptômes (...)." En consé- 
quence, il serait dangereux pour lui "de retourner dans le 
climat  brûlant de l'Amérique où sa maladie a commencé  et 
où elle pourrait être mortelle."
  En envoyant ce certificat,  il ajoutait que,  malgré  le 
        danger  qu'il  courait,  il  était prêt  à  reprendre  ses 
        fonctions  en  septembre car ses revenus et sa pension  de 
        1000 livres étaient trop modestes.  Mais,  le 4 août, à la 
        veille de son départ pour la Guadeloupe,  "retenu par  une 
        cruelle maladie", il préférait renoncer à ses fonctions et 
        présenter sa démission.

     Et  pourtant,  ses  revenus ne devaient pas  être  si 
modestes  ni sa santé si menacée car,  le 14 août de cette 
même  année 1783,  Jean BOSCARY,  agent de change à Paris, 
prêtait  en  son  nom (il demeurait  alors  à  Marseille), 
devant  Me  FOACIER,  notaire à Paris  (9),  5.000  livres 
argent de France aux sieurs Etienne Bernard DUBOIS, avocat 
en parlement demeurant à Paris rue Neuve des  Bons-Enfants 
paroisse  St-Eustache (plus tard juge de  Pointe-à-Pitre), 
et Nicolas Constance COQUILLE de CHAMPFLEURY,  greffier en 
chef  du  conseil souverain de Guadeloupe,  alors  logé  à 
l'hôtel des quatre provinces,  rue des Frondeurs, paroisse 
St-Roch,   et   ce  "pour  employer  à  leurs  besoins  et 
affaires".  Il réclama le remboursement des 10.000  livres 
(5.000  à  chacun des deux) en juillet 1785,  étant  alors 
"négociant de la ville de Marseille"...

             Les charges de justice aux îles

     Tout  ce qui suit,  sauf  indication  contraire,  est 
résumé de ce qu'expose longuement Jules Ballet (10).

- Le   sénéchal  était  chef  de  la  justice   dans   une 
"sénéchaussée".  Ne  pas confondre avec le "sénéchal de la 
noblesse"  qui  était,  depuis l'assemblée du  14  octobre 
1769, HURAULT (11).  A la Guadeloupe, il n'y eut longtemps 
que la sénéchaussée de Basse-Terre.  Quand la Grande-Terre 
fut défrichée, le gouverneur créa provisoirement une séné- 
chaussée  à  Ste-Anne,  transférée à  Pointe-à-Pitre  vers 
1767, ce qui fut confirmé par un édit du roi de juin 1769. 
"Sénéchal" semble être plutôt un titre,  le terme  utilisé 
étant principalement "juge royal", par la suite précisé en 
"juge royal civil, criminel, de justice et de police".

- Le  conseil  souverain,  ou conseil  supérieur  "jugeait 
souverainement  et  en dernier ressort tous les procès  et 
différends,   tant   civils  que  criminels,   entre   les 
habitants,  sur  les plaintes et appellations  interjetées 
des sentences et jugements rendus,  et sans aucuns frais". 
Il avait aussi fonction de chambre d'enregistrement.
Sa  composition varia selon les  époques.  Une  ordonnance 






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