G.H.C. Numéro 64 : Octobre 1994 Page 1155

Les exploits et logement des François
dans l'Isle de Gardeloupe

allait  livrer la guerre (10) et n'ayant rien  pu  obtenir 
d'eux de gré, alla à Saint Christofle, île non loin de là, 
d'où il fit venir deux vaisseaux, ceux qui l'avaient amené 
ayant continué leur route du Pérou,  et,  les ayant équipé 
en  guerre avec une chaloupe aussi armée,  fit descente en 
leur côte où,  s'étant mis à la tête des siens, il attaqua 
les  ennemis  de sorte qu'il leur donna  la  chasse  après 
qu'ils  eurent vu quelques uns des leurs morts et d'autres 
prisonniers.

     Alors,  les  nôtres  ayant exposé leur  artillerie  à 
terre  (car  la fuite et le désordre s'était  mis  si  tôt 
entre  ces  Sauvages  qu'on  n'eut  pas  le  temps  de  la 
descendre  des  vaisseaux avant la victoire)  ils  prirent 
possession du lieu,  en cet endroit où ils ont depuis bâti 
le fort et chapelle de Notre Dame du Rosaire (11).

     Les  Sauvages,  irrités de cette  perte,  employèrent 
lors  toute leur industrie à la réparer et  s'assemblèrent 
jusqu'à  neuf cents,  à six lieues de là sur le bord de la 
mer,  en  un lieu dit le grand Carbet (12),  à dessein  de 
venir  charger les nôtres dispersés pour choisir des lieux 
propres  à leurs habitations.  Mais,  dès le premier  avis 
qu'en eut le sieur de L'OLIVE,  il les prévint et,  allant 
les attaquer,  les trouva en son chemin, leur ôtant par ce 
moyen l'espérance qu'ils avaient de l'envelopper par  leur 
plus grand nombre,  car il n'était que lui vingt cinquième 
(sic).  Il  les attaqua donc si vivement et leur donna  si 
peu  de loisir de se reconnaître qu'encore qu'ils  opinia- 
trassent  le  combat trois heures  durant,  épuisant  tous 
leurs  carquois de flèches,  la plupart  empoisonnées,  si 
est-ce qu'il en tua cinquante, chassa le reste jusque dans 
leurs vaisseaux qu'il leur fit depuis abandonner avec tous 
leurs ustensiles, les contraignant par la promptitude à se 
jeter en mer et, ce qui est plus merveilleux, sans qu'il y 
eût  des  nôtres qu'un seul blessé,  encore fut-ce par  un 
sien camarade,  tant ils se surent bien servir de  l'avan- 
tage des bois où ils étaient (13).
     L'effet  de cet exploit fut vu de mauvais oeil par la 
flotte espagnole, qui passa peu de temps après s'en allant 
à  la  Platte (14) et on s'étonna de ce  que,  voyant  les 
enseignes de France arborées dans ce fort,  elle y observa 
un  silence  et retenue extraordinaire,  qui  marquait  sa 
crainte,  pour  preuve  de laquelle,  ayant été obligée  à 
mouiller l'ancre à une portée de mousquet,  elle en partit 
dès la minuit contre sa coûtume.

     Ce ne fut pas le dernier essai des Sauvages.  Deux de 
leurs  pirogues pleins (sic) de sauvages des plus résolus, 
lesquels attendaient quelque secours des Espagnols qui  se 
disent  leurs protecteurs,  s'en voyant frustrés,  vinrent 
passer devant ce fort en intention de le reconnaître. Mais 
le sieur de L'OLIVE ayant commandé à son canonnier,  nommé 
DESHAYES  (15),  de les saluer de quatre volées de canons, 
il le fit si dextrement qu'on les vit tous sauter dans  la 
mer.
     Ils firent depuis effort contre une maison  fortifiée 
et  défendue par six soldats français,  au même endroit du 
grand  Carbet,  où,  de douze cents Sauvages  qui  l'atta- 
quèrent  et  y  donnèrent en vain  trois  assauts,  il  en 
demeura  plusieurs  et  le reste s'en retourna  sans  rien 
faire,  déchargeant leur colère sur deux Français  écartés 
qu'ils  assommèrent  (16).  Tout cela s'est passé ès  deux 
premières années.
    Le jour de la Saint-Louis dernier passé, ils donnèrent 
un  nouvel  assaut  à une autre maison nommée la  case  du 
Borgne (17),  mais avec aussi peu de succès sinon que,  de 
trente des nôtres qui la défendaient,  il en mourut un  et 
trois furent blessés.
     A présent, les nôtres y sont si bien fortifiés qu'ils 
n'ont  plus rien à craindre,  oui (sic) bien à espérer que 
plusieurs Français, voyant une terre si fertile et qui n'a 
besoin que d'habitants, en sauront bien faire leur profit.

      Du  Bureau  d'Adresse,  le  26  février  1638.  Avec 
privilège.      

Nota  :  Nous  avons rétabli  l'orthographe  contemporaine 
(sauf pour les noms de lieu),  rectifié la ponctuation  et 
créé des paragraphes plus courts.  Nous ignorons le nom du 
"journaliste". Plutôt que Théophraste RENAUDOT, ne serait-
ce  pas RICHELIEU d'après le récit écrit par L'OLIVE  lui-
même,  lequel  venait  d'être  confirmé gouverneur  de  la 
Guadeloupe, le 2 décembre 1637 ?
 En effet,  voici ce que dit,  de la Gazette,  le  Nouveau 
Larousse  illustré  en  huit volumes de la fin  du  siècle 
dernier  (extraits)  :   feuille  hebdomadaire  créée  par 
Théophraste  RENAUDOT.  Le premier numéro parut le 30  mai 
1631. C'était l'organe officiel du gouvernement. RICHELIEU 
lui communiquait les nouvelles militaires et diplomatiques 
et rédigea même des articles importants.
 Jacques   de  Dampierre  ("Essai  sur  les   sources   de 
l'histoire des Antilles françaises 1492-1664", Paris 1904) 
mentionne  ce  texte de la Gazette en page 78  en  faisant 
remarquer  que la Gazette fut avant tout un instrument  de 
réclame  qui  dans  ce cas précis aurait été  utilisé  par 
L'OLIVE et les marchands de Dieppe.

 Jean  Paul Hervieu nous signale que ce texte a été publié 
par la revue "Parallèle" et qu'il est cité dans "La propa- 
gande  imprimée  pour les Antilles et la Guyane  au  XVIIe 
siècle,  recrutement  ou racolage" de Marcel Chatillon  et 
Gabriel Debien (Annales des Antilles, n° 24, 1982). 

 Le lecteur du texte ci-dessus n'a pu manquer de remarquer 
en  effet  qu'il s'agit,  plus que d'un  article  d'infor- 
mation, d'une propagande, publiée en outre en plein hiver! 
Pas un mot sur "l'horrible famine" des Français, deux mois 
après leur arrivée et qui dura près de cinq ans, ni sur la 
maladie du "coup de barre", dont parle Dutertre (pp. 80 et 
suivantes).  Pas un mot non plus sur les dissensions entre 
L'OLIVE  et  DU  PLESSIS ni sur le fait  que  le  premier, 
contre  l'avis  du second,  décida de faire la guerre  aux 
Sauvages  pour se procurer des vivres (Du Tertre  p.  84), 
alors que ce texte les présente comme agresseurs. 

 Il  faudrait  aussi lire ce texte en parallèle  avec  les 
"Relations  de  l'île  de la  Guadeloupe"  du  RP  Raymond 
Breton,  rééditées par la Société d'Histoire de la  Guade- 
loupe en 1978, et la lettre du RP PÉLICAN du 18 août 1635, 
trouvée par Michel Camus (Bull.  Soc.  Hist.  Guad. n° 52, 
1982).






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