G.H.C. Numéro 64 : Octobre 1994 Page 1172

Les mariages à problème d'Antoinette Gertrude CUVILLY
Bernadette et Philippe Rossignol

     La  recherche sur les ROUSSEAU de  Croix-des-Bouquets 
nous  a fait découvrir un acte intéressant et mis  sur  la 
piste d'une histoire que nous allons vous rapporter, en la 
complétant par la généalogie ascendante qui vous permettra 
de mieux comprendre les rapports de parenté concernés.

     Le  17  novembre  1733,   Jean  Baptiste  ROUXEAU  de 
FONTENELLE et Gertrude Antoinette CUVILLY veuve du Sr Elie 
MERGER  présentent au très révérend père MONTHIEU,  préfet 
apostolique des missionnaires de l'ordre de  St-Dominique, 
une  requête  en dispense de degré d'affinité "disant  que 
depuis  environ sept à huit mois,  ils auraient conçu  une 
très grande passion l'un pour l'autre et se seraient  même 
promis la foi de mariage;  qu'il y a trois semaines qu'ils 
se  disposent à effectuer cette promesse et que,  comme la 
dame MERGER est veuve d'un cousin germain du futur  époux, 
il  s'adresse à votre absence,  mon révérend père,  à deux 
missionnaires des plus éclairés à qui il demande si  cette 
dispense  était  de votre  pouvoir,  lesquels  répondirent 
unanimement que cela ne souffrait aucune difficulté;  que, 
sur  cette assurance,  il a pris toutes les mesures néces- 
saires pour cet établissement,  qu'il a fait des  dépenses 
et contracté des engagements considérables; qu'il est aisé 
de concevoir quelle a été sa surprise lorsque, s'adressant 
hier  à vous,  mon révérend père,  pour qu'il vous plût de 
lui faire expédier la dispense nécessaire, vous lui répon- 
dîtes que le pouvoir de dispenser au second degré  d'affi- 
nité  était réservé à la Cour de Rome;  que,  comme il est 
cependant persuadé que, nonobstant cette réserve générale, 
il  est  des cas si pressants et si décisifs  qu'ils  sont 
remis  à  votre  prudence (cette  distance  des  lieux  et 
l'étendue  des mers qui nous séparent de l'Europe),  il  a 
l'honneur  d'exposer les raisons qui militent en sa faveur 
et tirent l'affaire en question des règles ordinaires :

1°) l'affinité  est à la vérité du second degré mais  elle 
n'est que d'un côté : la mère du Sr de FONTENELLE et celle 
du  feu Sr MERGER n'étaient soeurs que de mère,  en  sorte 
que le double lien y manque,  ce qui est d'une très grande 
considération en droit canon;

2°) la dame MERGER n'a point d'enfant, n'en a jamais eu du 
dit  feu  Sr MERGER,  ce qui peut porter  à  conclure  que 
l'affinité a cessé par la mort du dit MERGER;

3°) c'est  par la foi de deux canonistes les plus éclairés 
que le Sr de FONTENELLE a pris de très grands engagements, 
ce qui le justifie de témérité et d'imprudence;

4°) ces mêmes engagements, si le mariage venait à manquer, 
opéreraient  sa  ruine totale,  en ce  qu'il  serait  hors 
d'état  de  les exécuter et que les dommages  et  intérêts 
qu'on  aurait  à prétendre contre lui  seraient  immenses; 
qu'il se trouve fermier d'un bien considérable dans lequel 
il a intéressé un de ses frères;  que,  dans la vue de son 
établissement,  il  a pris avec ce frère des  arrangements 
tout  différents de ceux pris lors du bail;  que ce frère, 
en conséquence,  en a aussi fait d'autres et que,  le tout 
restant sans exécution,  ce défaut ruinerait non seulement 
le Sr de FONTENELLE mais aussi son frère,  par les  diffé- 
rentes mesures qu'ils ont prises chacun de leur côté;

5°) ce  mariage ayant déjà éclaté dans le public,  et  les 
deux parties ayant vécu dans la familiarité que permettent 
ces sortes de promesses lorsqu'elles sont sur le point  de 
s'accomplir, cette familiarité, quoique tout innocente, ne 
manquerait pas d'être malignement interprétée par le grand 
nombre  toujours porté à mal juger et que,  de ces fausses 
interprétations, il ne pourrait en résulter que des suites 
fâcheuses, non seulement pour le suppliant mais aussi pour 
la  suppliante,  qui  ne pourrait peut-être  plus  trouver 
d'établissement;   qu'ils   avouent  que,   quoique   leur 
soumission à l'Eglise soit parfaite et telle qu'on peut la 
désirer,   ces  raisons  d'honneur  et  de  fortune   sont 
cependant  si pressantes qu'ils ont tout lieu de se défier 
d'eux-mêmes et qu'il n'y a rien qu'ils ne fussent prêts  à 
sacrifier  pour éviter le scandale qu'ils ont tout lieu de 
craindre d'une pareille rupture.

C'est  dans  ces  circonstances et par  ces  raisons,  mon 
révérend père,  qu'ils ont l'honneur de s'adresser à  vous 
pour que,  ce considéré,  il vous plaise leur permettre de 
passer   outre  à  la  célébration  du  dit  mariage,   se 
soumettant en tant que besoin serait à demander la ratifi- 
cation du Souverain Pontife si elle est nécessaire."

     Suit la dispense du degré d'affinité,  en latin,  par 
le R.P. MONTHIEU, du 19 novembre, et l'acte de mariage, du 
23 novembre.  Il fallut en effet faire ratifier le mariage 
à  Rome,  ce  qui mit près de quatre ans   et  la  réhabi- 
litation  figure dans le registre de Léogane en  septembre 
1737 (1).

     Outre le grand intérêt social, religieux, économique, 
de l'acte transcrit ci-dessus,  qui n'échappera à personne 
(quel est le plus important, de la "très forte passion" ou 
de  "l'établissement" ?),  voilà une énigme passionnante à 
résoudre  pour  un  généalogiste  :  retrouver  l'affinité 
exacte.  Ce n'était pas facile et cette dispense avec  ses 
explications  permet  de préciser des filiations  que  les 
lacunes  du début des registres laissaient dans le  vague. 
Vous  verrez ci-après le résultat de notre enquête :  tout 
vient de deux des quatre mariages de Marie DUBOIS. 

     Mais l'histoire n'est pas finie : nous avons bien sûr 
lu  attentivement  l'acte du premier mariage  d'Antoinette 
Gertrude avec Elie René MERGER,  le 5 février 1726. Or, là 
encore,  il y avait eu un problème,  mais qui venait cette 
fois  des hommes et pas du droit canon :  le  curé,  après 
avoir  nommé les futurs époux,  ajoute "après  nous  avoir 
fait  faire des sommations par le Sr  BLET,  huissier,  de 
passer  outre à la célébration malgré opposition de Mrs de 
LA BUXIèRE et SENDÉ,  et,  sur notre refus de nous  rendre 
aux dites sommations, (les futurs époux) se sont présentés 
dans  le sanctuaire,  comme nous allions à l'autel habillé 
pour dire la Sainte Messe et nous ont déclaré en  présence 
de  nombreux parents et amis (se prendre pour époux  légi- 
times),  sur  quoi nous aurions jugé le mariage validement 
contracté entre eux."

     Elle  devait  être bien  riche,  la  dite  Antoinette 
Gertrude,   pour   susciter  de  telles  histoires  à  ses 
mariages...






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