G.H.C. Numéro 64 : Octobre 1994 Page 1174

LAFITTE, mythe ou réalité ?
Pierre Bardin

     Jean LAFITTE ou LAFFITE est un personnage qui n'a pas 
fini  de faire couler l'encre bleue des mers du Sud,  dont 
pour  aujourd'hui la mienne.  Le numéro 63 de  GHC  (pages 
1149,  92-246,  et  1152,  94-106) l'évoquait en citant le 
livre  de Georges Blond "Histoire de la  flibuste",  réfé- 
rence  quasi  obligée  avec l'ouvrage  de  Stanley  Clisby 
Arthur "Jean Laffite,  gentleman rover".  Il est un  livre 
dont on ne parle quasiment jamais, écrit par Georges Blond 
et intitulé "Moi,  Laffite,  dernier roi des flibustiers", 
paru en 1986, dans lequel l'auteur fait parler notre héros 
à la première personne. En quatrième de couverture on peut 
lire ceci : "Aucune des circonstances historiques évoquées 
dans  ce  nouveau récit de Georges Blond n'est  inventée". 
Ceci  m'a titillé l'entendement et j'ai décidé  d'aller  y 
voir de plus près.

                     A Saint-Domingue

     Dès  le  premier chapitre,  Jean Laffite dit  :  "Par 
vanité  ou  pour d'autres raisons,  j'ai souvent  dit  que 
j'étais  né en France,  à Bordeaux.  Non,  c'est à  Saint-
Domingue que j'ai vu le jour,  le 22 avril 1782 (...). Mes 
frères et soeurs (il  en a sept) et moi,  nous avons  tous 
été baptisés dans l'ancienne cathédrale de Port-au-Prince. 
le prêtre qui nous a administré ce sacrement était le père 
        0'DELANY, irlandais."

     Les   registres  de  Port-au-Prince  étant   parvenus 
jusqu'à nous,  assez complets et en relativement bon état, 
il était facile de se plonger dans leur étude.
- En 1782, le seul LAFITTE que l'on trouve se nomme Joseph 
François  CONILL  LAFITTE,  natif de  Perpignan,  fils  de 
François,  droguiste, et de demoiselle VIOLA, qui se marie 
le 24 octobre avec Marie Louise DESVARIEUX,  fille de Jean 
Baptiste et de Marie Louise LADOUX.  Aucun baptême de Jean 
LAFFITE.
- En 1784, le 18 juillet, inhumation du sieur LAFITTE Ant. 
(le microfilm est difficile à lire).
- En 1786,  le 26 mars,  inhumation de Pierre chevalier de 
LAFFITTE, ancien capitaine de milice, habitant au quartier 
de Mirebalais, âgé d'environ 45 ans. Il s'était marié le 4 
juin  1764  à Mirebalais comme messire Pierre  de  LAFITTE 
LOUIS,  natif  de  la  ville de  Sallies  diocèse  d'Agen, 
paroisse  St-Martin,  fils  légitime et cadet  de  messire 
Jacques  de  LAFITTE seigneur de  CAPENBOURG,  conseiller, 
procureur du roi, et de dame Marie de LABADENS, avec Marie 
Madeleine DENIS, fille de Barthélemy et de dame Marie Anne 
Victoire PELLÉ, native de Mirebalais. 
- En 1797,  le 26 juillet,  inhumation de Joseph  LAFITTE, 
habitant, résident en cette ville, âgé de 68 ans, natif de 
Chalabre  en Languedoc,  fils légitime de Jean et de  dame 
Claire CASTRE. 

     Soufflons un instant, nous allons en avoir besoin. 
Première constatation :  aucun LAFFITE, notre héros ou ses 
frères  et soeurs,  ne figure pour cette période dans  les 
registres de Port-au-Prince.
Deuxième  constatation :  aucun père 0'DELANY n'est signa- 
taire des différents actes.
On est plus dans un "roman",  ce qui n'est pas un  défaut, 
que  dans  un "récit historique".  mais où je  trouve  que 
Georges  Blond  pousse le bouchon romantique un peu  loin, 
c'est  lorsqu'il  fait  dire à notre coureur  des  mers  : 
"J'avais neuf ans lorsque j'ai assisté au serment du  sang 
à Bois-Caïman (...). Toute ma famille était venue sauf mon 
père  (...).  Les noirs nous avaient fait place au premier 
rang  (...).  BOUKMAN  allait venir prêcher  la  révolte." 
Quand on sait sur quoi, historiquement, débouche ce fameux 
serment du Bois-Caïman, on imagine mal une famille blanche 
venue là comme au spectacle.
A  propos  de son père,  installé depuis 1768  à  Port-au-
Prince comme tanneur, il se nommerait Marcus LAFFITE, né à 
Pontarlier,  fils  d'Alexis,  né à St-Jean  d'Angély.  Pas 
grand chose sur sa mère sinon "elle est morte un an  après 
ma  naissance;  je  ne me rappelle rien d'elle." Il  parle 
longuement de sa grand-mère,  Zora NADRIMAL,  juive née  à 
Saragosse,  qui devait donner naissance à Maria Zora née à 
Dax, mère de Maria, Anna, Frédéric, Marcus, Henri, Yvonne, 
Pierre et Jean LAFFITE, selon l'auteur.
Bien  entendu,  comme  nous sommes "aux  Isles",  il  sera 
initié  très  jeune  aux  jeux  de  l'amour.   Malgré  les 
révoltes,  les destructions, il se marie en 1801, toujours 
à  Port-au-Prince  :  "Je revois la messe dans  l'ancienne 
cathédrale  en  bois,  l'évêque mitré,  le  père  0'DELANY 
(coucou,  le  revoilà) célébrant,  assisté de cinq  autres 
prêtres.  Je  revois  le cortège des calèches de  Port-au-
Prince à Belle Plaisance;  au bord de la route, les nègres 
agitaient leurs mains,  etc." La mariée se nomme Christina 
LEVINE, orpheline de père, venant de la Nouvelle-Orléans.
Replongeons-nous dans les registres de Port-au-Prince : le 
18  prairial  an  9 (8  juin  1802),  par  devant  POMPÉE, 
officier public, le citoyen Bernard LAFFITE, 33 ans, natif 
de  Castelneau  Rivière  Basse,  département  des  Hautes-
Pyrénées, fils légitime du citoyen Hubert LAFFITE et de la 
citoyenne  Jeanne  DUFLAIR,  domicilié en  cette  commune, 
épouse  la citoyenne Marie Anne PAPILLEAU,  native de  St-
Jean  d'Angély,  Charente Inférieure,  fille  légitime  de 
Pierre   PAPILLEAU  et  de  la  citoyenne  Jeanne   MARTIN 
PROFITON,  veuve  sans  enfant des citoyens  Jean-Baptiste 
PEYRAUBE en premières noces,  et Dominique BESSIèRE  BOYER 
en secondes noces, domiciliée en cette commune.

Nous  en  finirons avec la lecture des actes  de  Port-au-
Prince en signalant que :
- le 3 frimaire an 9,  Adélaïde LAFFITE, venant de l'habi- 
tation  Merceron,  présente un garçon né le 6  vendémiaire 
précédent, auquel elle donne le nom d'Alexis.
- Le 20 floréal an 10 (10 mai 1802),  dans la longue liste 
des  "citoyens  enlevés du Port-Républicain et  assassinés 
par  les  brigands  dans les bois",  il  y  a  un  Antoine 
LAFITTE.
- Le 13 prairial an 11,  décès de Martial LAFITTE,  âgé de 
22  ans,  natif de Bordeaux,  commis,  fils de NN LAFITTE, 
marchand  au dit lieu,  arrivé en cette ville depuis  deux 
mois,  venant du Cap Français.  Il est décédé chez la dame 
LAMOURETTE.

Si  quelque acte concerne Jean LAFFITE,  il n'est  pas  où 
nous  devrions le trouver,  mais le récit est-il basé  sur 
des  références historiques ?  Comme nous allons définiti- 
vement quitter St-Domingue, on peut s'arrêter un instant :
- Au Cap Français,  le 30 octobre 1787,  où a lieu l'inhu- 
mation  de  Messire  Denis  Angélique  de  LAFITTE  de  LA 
COURTAILLE, major du corps d'artillerie, ingénieur en chef 






Page suivante
Retour au sommaire
Lire un autre numéro





Révision 18/08/2004