G.H.C. Numéro 77 : Décembre 1995 Page 1502

Gabriel JOUVEAU DUBREUIL archéologue du sud de l'Inde

  Il  s'habillait d'un veston d'alpaga  élimé,  effiloché, 
son pantalon flottant,  mais il était invité partout, tous 
comptaient  sur  sa présence pour assurer le succès  d'une 
soirée,  alors  il mettait son smoking  qu'il  entretenait 
amoureusement. 
  Il  avait  lui-même conçu et dessiné  le  projet  de  sa 
table et son fauteuil de travail "cet austère confort,  ce 
bonheur  singulier mais rustique dans le choix des  lignes 
et  des  plans...c'est tout Dubreuil..." Levé deux  heures 
avant l'aube,  il rédigeait,   veillant tard dans la nuit, 
il lisait,  notant sur la page de garde du livre les réfé- 
rences à utiliser le lendemain.  L'après-midi, le jeudi en 
particulier,  il  prospectait la campagne alentour  de  la 
ville.  Dans  les villages les plus excentriques,  sur  la 
route d'Arikamedu, les chemins les moins carrossables, les 
promeneurs   s'entendaient  joyeusement  interpeller.   Au 
passage  d'une  "juthka",  cahotante  derrière  son  poney 
fringant,  ou  bien  dans la traditionnelle charrette  que 
traîne un boeuf, ils apercevaient un grand corps comprimé, 
disloqué,  écartelé  au  milieu d'une famille  de  paysans 
indiens:  c'était  Dubreuil  qui se rendait à  ses  explo- 
rations ou à ses fouilles.  Connaisseur de la  topographie 
et de la toponymie locales,  habile à se concilier  l'aide 
des  villageois  méfiants,  confiant en  cette  inégalable 
intuition  qui est sienne,  cherchant à travers la jungle, 
sans souci de la chaleur ni de la fatigue, il retrouve les 
pagodons délaissés, les inscriptions ignorées mais révéla- 
trices.  Qu'importe le mode de transport, la nourriture ou 
le gîte, il dort plus d'une fois à la belle étoile.

  Sur les dernières années de sa vie , il écrivit quelques 
poèmes: 

- Mots sur le sable:
 "L'avenir promettait merveille et je l'ai cru
  Fortune, bonheur, gloire...mais tout a disparu
  Comme un mirage." 
- Fin du jour: (huitain)
 "Où sont les rayons et les gloires
  Qui brillaient dans un ciel de sang,
  Les arabesques et les moires,
  Que le vent traçait sur l'étang?
- Le Soir: (Sonnet)
 "L'oiseau du soir déjà dans le lointain s'envole
  Le jour ne jette plus que d'étranges lueurs
  Mais au ciel, tout s'allume..." 

  Son oeuvre d'une densité et d'une rare originalité,  fut 
qualifié par J.  Filliozat "d'oeuvre si pleine d'ardeur et 
d'une  activité  qui  fut  si  entraînante  pour  beaucoup 
d'autres".  Dans  l'abondante et cordiale  correspondance, 
conversation   érudite  entre  deux  esprits   supérieurs, 
qu'échangent  Dubreuil et le Professeur Nilakanta  Sastri, 
grand historien de l'Inde,  ce dernier écrira le 3 juillet 
1939: 

  "Je  ne puis trouver de mots pour vous exprimer tous mes 
   sentiments  devant  le  tour pris  en  Europe  par  les 
   événements.  Vous  avez toujours représenté  la  France 
   pour moi et tout ce qu'il y a de meilleur dans ce grand 
   pays." 

  Le  22  mars  1924,  dans un article  du  "Madras  Mail" 
consacré  aux "Etudes Historiques dans le sud de  l'Inde," 
Maître T.G.  Aravamutham, le numismate bien connu, rendait 
hommage  à l'oeuvre du Professeur Jouveau-Dubreuil en  des 
termes qui doivent être répétés :
 "Le Professeur Jouveau-Dubreuil dans le court espace de 3 
ans,  en  a fait beaucoup plus que n'a pu faire  l'archéo- 
logue officiel de Madras durant les 20 dernières années et 
cela  sans bénéficier d'aucune des facilités ni des commo- 
dités dont jouit l'archéologie officielle." 

  Le  22  janvier  1932,   Jean  Dorsenne  écrit  dans  le 
"Gringoire",   sous le titre "Une escale à Pondichéry", et 
nous  parle  d'un érudit "animé de la foi qui déplace  des 
montagnes" et qui s'est mis en chasse :
 "Quelles admirables pièces au tableau!  il a  trouvé,  au 
fond  des vieilles maisons,  dans des greniers,  sous  des 
couches  de  poussière,  derrière des ballots de  marchan- 
dises,  des  spécimens  de meubles du XVIIe et  du  XVIIIe 
siècles,   véritables  merveilles,  trésors  inestimables, 
bergères  Louis  XIV...   crédences  harmonieuses,  Boulle 
authentiques,  pendules, coiffeuses, un ensemble de pièces 
à faire courir tous les amateurs rue Drouot." 

     Son oeuvre fut surtout une recherche de terrain :

 "Je suis allé, j'ai vu, j'ai constaté". De son expression 
favorite:  "Il faut aller jusqu'au roc",  il avait fait sa 
devise,  qu'il  s'agisse des recherches archéologiques  au 
Deccan,  en Inde britannique,  ou de travaux concentrés  à 
Pondichéry,  quand les autorités anglaises lui interdirent 
de fouiller sur leur territoire. Or, sans les aides finan- 
cières des archéologues anglais,  ce professeur du Collège 
français  de Pondichéry défricha plus en trois ans que  ne 
l'avait fait la mission anglo-indienne...

  Il destina tous ses meubles et ses pièces  d'archéologie 
aux  musées,  la plupart faisait l'ornement du Musée de la 
France d'Outre-Mer en 1953 puis du musée Guimet.  Certains 
meubles se trouvent au musée de la Compagnie des Indes  au 
Port Louis dans la baie de Lorient.

Notes :

(1) L'orthographe du nom a été modifiée lors de  l'implan- 
tation  de la famille à la Guadeloupe au cours du  premier 
tiers  du XIXe siècle.  La branche cadette souda la parti- 
cule.
(2) Alfred Foucher (1865-1952) Orientaliste français.
(3) Tome I p 245.
(4) Lettre du 28 septembre 1940.
(5) M.  Josselin  était déjà sous directeur de  l'établis- 
    sement
(6) Entretien de  Paul Jouveau du Breuil avec M. Dourthe à 
    Pondichéry le 19 février 1986.

Sources :

-  "Jouveau-Dubreuil à Pondichéry" par Jean Renault,  
   professeur au collège rrançais, Pondichéry 1953.
-  "Soleils d'Orient" par Paul du Breuil, Paris 1987. 






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