G.H.C. Bulletin 83 : Juin 1996 Page 1658
Les ROUSSEAU DU SAULOY et DU TILLOY de Goyave
Daniel-Édouard Marie-Sainte
Plus que toute autre famille de colons, par près de
200 ans de présence, par leur personnalité et leur influ-
ence, les ROUSSEAU ont marqué l'histoire économique et
politique de Goyave, jusqu'à ce que le germe du malheur,
de la mort et de la dispersion fasse son oeuvre.
Le Grand Armorial de France de Raoul de Warren laisse
apparaître que ROUSSEAU du SAULOY et ROUSSEAU du TILLOY
sont deux branches d'une même famille dont l'origine
guadeloupéenne, et singulièrement goyavienne, remonte au
XVIIème siècle.
En 1670, Quentin ROUSSEAU, fondateur de cette lignée,
était déjà fixé dans le quartier de la Goyave, aux abords
de la rivière, où il possédait une habitation sucrière. On
croit le reconnaître dans cet habitant qui offrit aux
religieux capucins un fond de terre pour édifier en
pierres la première église de Goyave, et un presbytère
qui, en 1688, se construisait. L'expression "Vieille
église et couvent", par laquelle on désignait au XIXème
siècle une pièce de cannes de l'habitation en question,
donne force à l'idée que le rôle de Quentin ROUSSEAU fut
déterminant dans la fondation de la nouvelle paroisse.
Dans son testament dicté en octobre 1698, peu avant sa
mort, il déclara vouloir être enterré au cimetière de
l'église Sainte-Anne de la rivière à Goyave, sa paroisse,
"entre le clocher et la porte".
De son union avec Anne MEUNIER, en 1666, étaient nés
trois filles et quatre garçons, dont Quentin ROUSSEAU,
deuxième du nom, baptisé à Capesterre le 12 avril 1675. Le
fils de ce dernier, Quentin ROUSSEAU, troisième du nom,
époux de Thérèse RICORD, mourut à Goyave le 6 mars 1768, à
l'âge de 46 ans.
C'est Pierre Quentin ROUSSEAU, fils unique du précédent,
baptisé à Petit-Bourg le 25 avril 1745, qui donna à la
famille la notoriété dont elle continua à jouir au fil du
temps. Il agrandit considérablement l'habitation de ses
ancêtres par acquisitions successives. Major d'infanterie
de milice, il devint commandant du quartier de la Goyave
et porta en 1792 le titre de maire.
Pierre Quentin ROUSSEAU connaissait ses origines
nobles. Les archives familiales dont il détenait plusieurs
pièces originales lui avaient appris son appartenance à
une ancienne maison noble du Poitou. En 1789, il exprime
le désir de se faire rétablir dans l'état dont ses
ancêtres avaient joui. Ses démarches, d'abord effectuées
auprès du Conseil Souverain de l'île, le portent à passer
ensuite en France avec les originaux des actes et titres
que lui réclamait son généalogiste, M. Chérin, et qui sont
principalement :
- un mandat de Jeanne d'Orléans, duchesse de LONGUEVILLE,
adressé au receveur de sa terre, du 15 avril 1521, pour
paiement des appointements de noble Jean ROUSSEAU, écuyer,
capitaine gouverneur du château de Segondigny en Poitou
- le contrat de mariage de noble Pierre ROUSSEAU, écuyer,
sieur de Choisy, fils de Jean ROUSSEAU, écuyer, et de dame
Marie de SASAY, passé le 10 janvier 1537
- une reconnaissance donnée au seigneur de Bouthières, le
4 décembre 1579, de deux pièces de terre par noble Nicolas
ROUSSEAU, comme les ayant eues de la succession de son
père, Pierre ROUSSEAU
- la quittance dotale donnée par ledit Nicolas ROUSSEAU à
Jean DUBOIS, écuyer, sieur de Foursac, son beau-père, le
1er mars 1580
- le testament dudit Nicolas ROUSSEAU du 10 septembre 1612
- le contrat de mariage de noble Quentin ROUSSEAU, écuyer,
officier au régiment de Picardie, fils de Nicolas ROUSSEAU
et de dame Gabrielle DUBOIS , avec Marie de TILLOYS, du 8
février 1614
- les articles de mariage - avec Marie BELLOT - de noble
Nicolas ROUSSEAU, écuyer, sieur de TILLOYS et capitaine du
château de Guise, fils de Quentin ROUSSEAU et de Marie de
TILLOYS, du 9 décembre 1637
- la quittance donnée par ledit Nicolas ROUSSEAU à Antoine
BELLOT, son beau-père, le 2 mars 1647
- Enfin, le testament, en date du 13 septembre 1650, de
Pierre ROUSSEAU, qui institue pour son héritier universel
noble Quentin ROUSSEAU, écuyer, son neveu, fils de Nicolas
ROUSSEAU et de Marie BELLOT.
(C'est lui qui traversa les mers pour faire souche à la
Guadeloupe).
Pierre Quentin ROUSSEAU, porteur de ces précieux
documents, s'embarqua donc pour la France, fin juin 1789,
sur le navire "Le Lion", capitaine Renaud, du port de
Bordeaux. Il avait alors confié, par procuration, la
charge de ses affaires dans la colonie, à Marie-Aleth de
BOUBERS, son épouse en secondes noces qui, le 2 décembre
1787 lui avait donné un fils, Amédée François Bernard
ROUSSEAU. Ce dernier avait un demi-frère, de 14 ans son
aîné, issu du premier mariage de son père avec Bernardine
DUPRÉ DUBELLOIS, celle-ci décédée à Goyave le 19 août
1774.
La Révolution jeta cette famille royaliste dans
l'émigration. En 1794, elle se réfugia à la Martinique,
semble-t-il, alors sous occupation anglaise, abandonnant à
Goyave deux sucreries, celle dite "Rousseau", la plus
ancienne, l'autre dite "Beaulieu", d'acquisition plus
récente.
En 1802 l'évolution politique favorise le retour des
ROUSSEAU au pays. Pierre Quentin décède l'année suivante
et, en 1810, on procède au partage de ses biens. L'habi-
tation Beaulieu et celle dite Fondval, devenues ensemble
habitation Ste-Claire, revinrent à Gabriel Jean-Baptiste
Quentin ROUSSEAU DU SAULOY (ou DUSAULOY). L'étendue de
l'habitation "Rousseau du Sauloy" - 600 hectares avec ses
parties boisées - faisait d'elle, et de loin, la plus
vaste propriété de la commune.
Amédée ROUSSEAU reçut la part la plus noble de l'héri-
tage familial, la sucrerie Rousseau, une exploitation,
certes, deux fois moins étendue que celle de son aîné,
mais marquée du signe des aïeux qui l'avaient établie et
fait prospérer. Il lui donna le nom de "Forte-Isle", à
cause sans doute de la position d'une pièce de terre
formant îlot dans les eaux de la Petite Rivière à Goyave
qui la traversent. Parlant de l'habitation Forte-Isle, on
ne dira jamais "Habitation Rousseau du Tilloy", mais
Rousseau tout court. Car ici nos gens, malgré leur rang et
la distinction de leur caractère, ne firent guère usage de
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