G.H.C. Bulletin 88 : Décembre 1996 Page 1810

     On y trouve  aussi  d'autres  bois  rouges,  dont  la
feuille est de bonne odeur :les arbres appellez  courbaris
portent un fruict assez long, plat  et  dur;  il  y  a  au
dedans avec la graine comme de la poussiere, qui a  entie-
rement le goust  du pain d'espice, et nos  François   lors
qu'ils  habiterent  l'isle  dans  leur  disette  y  eurent
recours. Trois ou quatre  sortes  de  palmistes,  les  uns
espineux, dont on peut tirer du vin agreable, mais qui  ne
se conserve qu'un jour ou deux au plus;  les  autres  sans
espines. On se sert  des  feuilles  de  ces  palmistes  et
autres arbres comme en France du chaume pour  couvrir  les
cases, et ajoupas,ou apentis. Les  savonettes  portent  un
fruict rond, gros comme des grosses noisettes;  le  dessus
ou escorce espaisse d'un teston, est  propre  à  savonner,
c'est pourquoy on la nomme savonette; mais il en faut fort
peu autrement il brusleroit le linge, comme aussi feroient
les cendres  du  pays,  qui  en  mettroit  beaucoup  à  la
lescive : le dedans est une petite noisette noire et dure,
dont on peut  faire de beaux chappelets. Nous y avons  des
arbres  qui  portent  des  calebasses  grosses  comme  nos
citrouïlles mediocres, et s'appellent calebassiers;  on se
sert de ces calebasses pour apporter l'eau; ou on les fend
en deux pour s'en servir à boire.  On appelle  ces  belles
tasses des couïs.  Il y a  encor  d'autres  calebasses  de
diverses façons et figures, et plus petites, qu'on apporte
en France pour mettre de la poudre, et autres choses. Nous
ne sçavons point le nom de certains arbres,  dont l'écorce
pilée jette une escume qui sert aux Sauvages à enyvrer les
poissons, et les prendre lors qu'ils viennent à bord :  ny
de ceux  dont ils se  servent pour faire du feu,  frappant
le bois l'un contre l'autre.  Plusieurs arbres portent des
gommes,  et  sans doute plusieurs  sortes  de  ces  gommes
seroient en estime en France,  et en ces isles si  on  les
cognoissoit bien, et leur utilité :  maintenant on ne s'en
sert qu'au lieu de glu, à l'exemple des Sauvages.         

    Le junipa  porte des pommes de mesme nom,  qui noircis-
sent ce qu'on y touche; de sorte qu'il est presque  impos-
sible d'oster cette noirceur, mais elle disparoist d'elle-
mesme le neufiesme jour. Les bois sont pleins de lienes qui
pendent des arbres; ce sont comme quelque espece de lierre
qui s'attache et rampe jusques au haut  des  arbres,  puis
n'ayant plus ou monter,  jette du bois  qui  pend  en  bas
jusques à terre, où il va chercher un autre arbre  pour  y
monter encore : ces lienes sont fortes, les Sauvages  s'en
servent  pour  monter  aux arbres,  où  autrement  ils  ne
pourroient monter à cause de leur grosseur :  on les  fend
aussi en  quatre  pour  s'en servir  comme  de  cordes  ou
d'osiers pour lier les roseaux dont on fait les cases,  et
autres choses; à quoy sert aussi la  seconde  écorce  d'un
arbre  nommé  mahault.  Je n'aurois  jamais  fait,  si  je
voulois rapporter toutes les sortes d'arbres des  bois  de
ce pays : je marqueray donc  seulement,  qu'il  n'y  en  a
aucuns de ceux qui nous  sont  communs  en  France,  comme
chesnes, fresnes, fousteaux, et autres; aussi  en  France,
n'avons nous point  de  courbaris,  acomats,  acajous,  et
autres semblables, qui font les bois de la Martinique.    

    Nous avons parlé des bleds, grains, racines, et herbes
de ce pays, desquelles on mange; reste à dire quelque  peu
des autres choses qui servent à la nourriture des  hommes.
On a commencé à avoir des pourceaux, dont quelques-uns  se
sont fait marons, c'est à dire qu'ils  ont  fuy  dans  les
bois, où ils multiplieront au grand bien de cette  isle  :
car d'autres bestes à quatre pieds  il  n'y  en  a  point,
sinon   possible  quelques  rats  musquez,   et   quelques
agoustis;  ce sont petits animaux qui ont quelque chose de
nos lapins. Il n'y a ny cerfs, ny sangliers, ny loups,  ny
renards. Si on envoyoit ou transportoit là quelques vaches
et brebis, on feroit un tres-grand bien au pays;  et  cela
est necessaire, d'autant que la  tortuë,  les lezards,  et
autres animaux pourront aussi  bien  manquer là  à  mesure
qu'on peuplera l'isle, comme ils manquent à sainct  Chris-
tophle,  où il y en avoit autrefois quantité.  Il y a  des
poules en nombre, la pluspart ne leur donnent rien, et les
laissent aller dans les bois, aussi en retirent ils peu de
profit pour les oeufs;  mais en recompense  ces  poules  y
ayant couvé vous  amenent  quelquefois,  lors que  vous  y
pensez le moins, de belles bandes de poulets.             

     Les vivres  que le pays  fournit  de  luy-mesme  sont
ceux-cy, grives,  perdrix,  ou  plustost  tourterelles  de
plusieurs sortes, ramiers, perroquets,  qui  à  la  saison
sont fort gras, et ne cedent en bonté à  nos  poules;  ils
apprennent à parler avec un peu de peine, mais  prononcent
assez franchement ce qu'ils ont une fois appris. On y voit
les oiseaux que nous appellons crabiers,  d'autant  qu'ils
se nourrissent de crabes :  Il  n'y  manque  pas  d'autres
sortes d'oiseaux, mais plus rares, et dont on ne mange pas
d'ordinaire.                                              

     Les aras sont deux ou  trois  fois  gros  comme   les
autres  perroquets,  ont  un  plumage  bien  different  en
couleur : ceux que j'ay veu avoient les plumes  bleuës  et
orangées. Ils apprennent aussi à parler et ont bon organe.
Ceux qu'on nomme flamens sont rouges et  blancs,  ont  les
jambes et le col fort longs, le corps fort petit. Nous  en
voyons assez souvent qu'on appelle grands-gosiers, à cause
de la grandeur et capacité extraordinaire de leurs gosiers
qui tiennent quelquefois bien pres  d'un  seau  d'eau.  On
trouve des fregades dont on tire de l'huile , ou espece de
graisse souveraine pour le refroidissement de nerfs, comme
l'est aussi, à  ce  qu'on  dit,  l'huyle  qu'on  tire  des
soldats : ce sont comme  de  petites  écrevisses  avec  un
mordant  seulement,  qui  chassent  de   leurs   coquilles
quelques petits limaçons de mer, et s'en emparent, pour  y
demeurer jusqu'à ce que devenus plus grands et  gros,  ils
les quittent, et en vont chercher d'autres  plus  grandes.
Puis que nous avons parlé des oyseaux, je  veux  remarquer
icy, que nous n'en avons oüy aucun qui merite d'étre prisé
pour son chant, et qu'il y a aussi en  ce  pays  comme  en
Canada, certains petits oysillons d'un tres-beau  plumage,
qui vivent de fleurs aussi bien que les  abeilles  :  nous
les appellons colibry,  c'est le  mot  des  Sauvages,  qui
signifie oyseau, que nous avons affecté particulierement à
celuy-cy; on en apporte de mors en France.                


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