G.H.C. Bulletin 91 : Mars 1997 Page 1902

MELVIL-BLONCOURT le communard marie-galantais ?

     En dépit des palinodies et des  cabales,  au  premier
tour de scrutin du 19 mars 1871,  Melvil-Bloncourt  obtint
3211 voix, Adolphe Rollin 2898. Au second tour du 9  avril
les  résultats  furent  :  Melvil-Bloncourt  2977,  Victor
Schoelcher 2495, Adolphe Rollin 2393, Auguste  Duchassaing
2074. Le 25 avril 1871, la Gazette Officielle  donnait  un
scrutin rectifié :  Melvil-Bloncourt  3322  voix,  Adolphe
Rollin 2756. C'étaient les deux candidats ayant eu le plus 
de suffrages. Et, voilà comment,  Melvil-Bloncourt  devint
député de la Guadeloupe.
     Cette victoire ne fut pas vue d'un bon oeil à  Paris,
car la Commune venait de prendre fin, et le nouveau parle- 
mentaire en sortait. D'une synthèse de rapport  (cote  74)
faite à l'autorité militaire voici un  aperçu  :  "De  son
élection à la Guadeloupe, voici ce que l'on raconte :
Il s'agissait d'élire deux députés. Un propriétaire blanc, 
Monsieur Rollin, homme fort honorable posait  sa  candida-
ture, mais on lui fit observer qu'il  ne  passerait  qu'en
même temps qu'un homme de couleur.
On songea alors à Melvil-Bloncourt qui,  étant  établi  en
France depuis de nombreuses années, tirait  de  son  éloi-
gnement ce prestige qui, aux colonies, entoure  rapidement
les créoles venant habiter Paris.
     M. Rollin fit les frais  de  la  double  élection  et
malgré l'opposition de tous  les  gens  sensés,  Bloncourt
passa à la remorque de M. Rollin, mais à une  très  faible
majorité."
De 756 voix, cependant !!!

Son action au Parlement

     Durant son bref passage à l'Assemblée  nationale,  de
juin 1871 à février 1874, Melvil-Bloncourt fut  un  parle-
mentaire actif au bon sens  du  terme  et  un  remarquable
démocrate. S'il fut un politique respecté et  écouté  dans
l'hémicycle, intellectuel il  le  fut  non  moins,  double
notion qui ne cohabite généralement  pas  chez  des  poli-
tiques d'aujourd'hui ou d'autrefois de  quelque  obédience
qu'ils se réclament. Nous entendons, intellectuel, au sens 
de Ignacio Silone : "Ce mot  d'intellectuel  je  l'emploie
dans un sens précis :  je  désigne  ainsi  tous  ceux  qui
contribuent à la formation d'une  conscience  critique  au
sein d'une époque. Dans le sens où je l'entends, ce  terme
désigne une fonction et non pas une corporation."

     Citons quelques unes de ses initiatives :  il  amorça
la création d'une bibliothèque communale dans la Ville  de
Pointe-à-Pitre, par l'envoi de livres obtenus du Ministère 
de  l'Instruction  publique  et  des  Beaux-Arts.  De  ces
ouvrages, toutes disciplines confondues mais notamment  de
littérature et de sciences, nous en avons dénombré  390  !
Cela peut paraître modeste, mais  le  geste  est  toujours
neuf. Cet envoi de livres dut sembler insolite au maire de 
Saint-Louis  d'alors,  M.  Raiffer,  auquel  le   généreux
pourvoyeur répondit  :  "Moins  de  livres  !  dites-vous.
Goethe disait : De la lumière ! encore de la lumière !  Je
suis de l'avis de Goethe. Et j'ajouterai :  pas  assez  de
livres."
Il eut, par ailleurs, le projet -hardi pour l'époque- 
de créer un musée public. Entre autres artistes  il  avait
choisi les tableaux  du  peintre  guadeloupéen,  Guillaume
Guillon, dit Lethière, un cacique des Beaux-Arts, en 
hommage filial, disait-il, à la Guadeloupe, ce  qui  peint
bien le caractère moral de cet homme de  culture  qui  fut
chargé de mission culturelle avant la lettre.
Malheureusement, Melvil-Bloncourt ne  put  parachever  son
oeuvre de  salubrité  mentale,  son  mandat  parlementaire
allant être écourté, son passé de  communard  n'ayant  pas
été oublié par tout le monde. Ce d'autant que, sur le plan 
politique, il était toujours resté  égal  à  lui-même.  Il
siégea à l'extrême gauche  de  l'Assemblée  nationale,  et
vota contre le pouvoir constituant, contre  le  septennat.
C'est l'heure de faire un retour en arrière pour le situer 
dans le mouvement communaliste  qui  allait  infléchir  la
trajectoire de sa vie.
                                             
Le passé de Communard

     Melvil-Bloncourt enfermé dans Paris durant  le  siège
de 1870, honorant ses convictions  politiques,  devint  un
rouage important de la Commune, puisque adjoint du Délégué 
à la Guerre, Cluseret. De la synthèse des  rapports  (cote
74), nous lisons : "au mois de décembre 1870  il  habitait
une propriété sise entre Vanves et  Issy,  mais,  lors  de
l'investissement, il se réfugia à Paris,  rue  de  Navarin
n° 19, dans un appartement mis à  sa  disposition  par  un
Sieur  Martel,  artiste  dramatique  qui  était  parti  en
Bourgogne. Au  début  du  siège  Melvil-Bloncourt  se  fit
incorporer dans le 116e bataillon de la  Garde  Nationale,
mais il y resta peu de temps"...
     "Pendant la  période  insurrectionnelle,  il  eut  de
fréquentes entrevues  avec  Glais-Bizoin,  avec  Cluseret,
dont il était le conseiller intime, et il aura  assisté  à
tous les entretiens que ce dernier eut avec M. Bonvalet".

     Le rapport adressé à la première  division  militaire
(cote 105) précise : "... le 20 ou le  21  mars,  il  vint
offrir à Lullier, à l'Hôtel de  Ville,  ses  services,  en
disant qu'il donnait son adhésion  pleine  et  entière  au
programme du comité central et de la Commune."

     Son dévouement à la cause communaliste fit de lui une 
cible rêvée. L'arrivée au pouvoir du maréchal de Mac-Mahon 
devait mettre un terme à la vie parlementaire  de  Melvil-
Bloncourt. Le prétexte était clair.  Sous  la  Commune  il
avait eu la direction des engagements pour les  bataillons
de marche et d'artillerie. Le même rapport précise :
"Melvil-Bloncourt portait  alors  un  képi  de  commandant
d'état-major et avait sous ses ordres six employés que  le
comité central payait 3 francs par  jour;  Melvil  de  son
côté, recevait ses émoluments, fixés à 10 francs par jour, 
du caissier du Délégué à la Guerre."
D'après un extrait des Etats  de  solde,  Melvil-Bloncourt
aurait émargé du 1er avril au 15 mai pour la somme de  410
francs.

     Le 5 février 1874, le général du Barrail, ministre de 
la Guerre, faisait part à l'Assemblée  nationale  du  rôle
joué en 1871 par le  député  de  la  Guadeloupe.  A  cette
lettre  était  jointe  une  demande  et  autorisation   de
poursuite formulée par le général de  Ladmirault,  gouver-
neur de Paris.
"Je crois devoir appeler votre  attention  sur  les  faits
suivants, desquels il résulte qu'un membre de  l'Assemblée


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Révision 20/01/2005