G.H.C. Bulletin 92 : Avril 1997 Page 1928

Les défenseurs de la Martinique lors de l'attaque de Ruyter
Eugène Bruneau-Latouche

     S'il est un fait  mémorable  dans  l'histoire  de  la
Martinique, c'est assurément la victoire d'une poignée  de
Français contre la flotte hollandaise lors de l'attaque du 
Fort Royal en juillet 1674, victoire d'autant plus  savou-
reuse que l'ennemi était conduit  par  le  célèbre  amiral
RUYTER. A l'inverse, une victoire hollandaise eût  certai-
nement changé le destin de la Martinique et de son peuple.

     Cet article ne  saurait  être  une  étude  historique
complète de cette bataille déjà décrite magistralement par 
le vicomte Du Motey dans son "Guillaume  d'Orange  et  les
origines  des  Antilles  françaises"  (librairie  Alphonse
Picard et fils, Paris 1908, 471 pages), mais il soumet  au
lecteur un document  largement  cité  par  les  historiens
abordant cet épisode  de  l'histoire  martiniquaise  :  le
rapport de François PICQUET  sieur  de  LA  CALLE,  commis
général de la Compagnie des Indes, propriété des  Archives
nationales, inséré presque textuellement dans la  "Gazette
de France", n° 138, année 1674, pages 1207 à 1218 (Biblio- 
théque nationale,  cote  M  197).  Deux  autres  documents
signés du gouverneur de SAINTE  MARTHE,  relevés  dans  le
fond Clairambault (à la Bibliothèque nationale,  cote  888
p. 167 et 888 p. 177)  par les soins de  M. Pierre Bardin, 
accompagnent le rapport de LA CALLE.

     A la suite de cet ensemble prend place  un  état  des
noms de ceux qui ont défendu le Fort Royal, établi, le  21
août 1674, par le lieutenant Antoine  CORNETTE  et  annexé
dans le rapport du gouverneur de BAAS,  daté  de  28  Août
1674  (Archives  nationales  cote  F/3/26,  folios  97  et
suivants). Cet état a été reproduit, avec quelques erreurs 
et omissions, par le Vicomte Du Motey aux pages 421 à  423
de son ouvrage.

     Enfin, il a semblé intéressant de  reprendre  indivi-
duellement la liste des combattants  dressée  par  Antoine
CORNETTE et d'y ajouter une petite notice généalogique  ou
de situer chacun, chaque fois que cela était  possible;  à
cet effet, nous avons utilisé les registres paroissiaux de 
la Martinique ainsi  que  "Personnes  et  familles  de  la
Martinique au XVIIe  siècle" par Jacques Petitjean Roget 
et Eugène Bruneau-Latouche.
     Déduction faite des 46  soldats  et  matelots  des  2
vaisseaux (y compris les matelots provençaux), sur les 115 
colons et personnes "habituées" à la Martinique, seules 84 
ont été identifiées ou à peu  près  reconnues;  31  autres
demeurent  inconnues.  Les   registres   de   Fort   Royal
(antérieurs à 1763)  qui  n'existent  qu'à  la  Martinique
auraient certainement permis l'identification de  nombreux
autres !

     Mais revenons à cette  attaque  hollandaise  pour  un
court résumé. Depuis 1672, loin des Iles, la France  était
en guerre contre la Hollande alliée à l'Angleterre et à la 
Suède pour contrer les ambitions espagnoles du  Roi  Louis
XIV. Les Hollandais, comme tous les étrangers, s'étant vus 
fermer les portes du commerce aux  Antilles  par  l'ordon-
nance de COLBERT du 10 juin 1670, considérant l'ampleur de 
leurs pertes, se décidèrent à attaquer  les  Antilles.  En
1674, le 8 juin, la flotte  batave  quitte  les  côtes  de
Hollande et pique droit  sur  la  Martinique.  Elle  était
commandée par le grand amiral RUYTER, son fils,  le  comte
de HORN, et le comte de STIRUM, désigné par les  Etats  de
Hollande comme futur  gouverneur  de  l'île  à  conquérir.
Cette flotte était  composée  de  "dix-huit  vaisseaux  de
ligne, six brûlots, une vingtaine de  flûtes  chargées  de
troupes... 4.336 marins, 3.386 soldats,  1.142  bouches  à
feu" (cf. Histoire Politique, Economique et Sociale de  la
Martinique  sous  l'Ancien  Régime  (1635-1789)  par  C.A.
Banbuck, page 82).

     Elle arriva le 19 juillet, dans l'après-midi,  devant
les Ances d'Arlets où elle fut  dès  lors  observée;  elle
était devant  la  rade  du  Fort  Royal  le  lendemain  20
juillet.
    Il y avait dans la baie du Carénage un vaisseau du Roi 
nommé "Les Jeux" de 44 canons,  commandé  par  le  marquis
d'AMBLIMONT, un navire marchand de  Saint  Malo  nommé  le
"Saint Eustache" armé de 22 canons, commandé par le  sieur
de BEAUJEU, quatre autres bateaux de commerce, deux appar- 
tenant à un malouin nommé ICARD  (ou  AICARD),  la  "Notre
Dame" de  la  Cieuta  (La  Ciotat  ?),  capitaine  Antoine
GANTEAUME, et  le  "Saint  Joseph"  de  Toulon,  capitaine
JOUNE.
    Pour prévenir toute approche de l'ennemi, M.  de  BAAS
avait ordonné de fermer l'entrée du  Carénage  en  faisant
couler plusieurs navires; le capitaine AICARD, dévoué,  en
fit de même avec ses deux bateaux. La  flotte  hollandaise
ne pouvant s'approcher, RUYTER  envoya  par  chaloupes  de
nombreux  hommes  jusqu'au  rivage.  Ils   pillèrent   les
magasins de la côte et se jetèrent sur les  liqueurs  (cf.
Sidney Daney, "Histoire de la Martinique", page 305).
     La plupart étaient ivres au moment  où  ils  s'apprê-
taient à l'attaque du Fort, mais M. de  SAINTE  MARTHE  et
ses 160 hommes qui étaient masqués par les  palissades  de
la forteresse (Fort Royal) firent feu sur les  hommes  qui
débarquaient par vagues et en tuèrent un grand nombre. Les 
pertes hollandaises se chiffraient à plus  de  1000  morts
alors que du côté français il n'y avait que 3 morts.

     Dans l'après-midi les assiégeants reprirent  l'assaut
de la palissade et tentèrent de planter  un  drapeau.  Bon
nombre furent foudroyés à bout portant. Le comte  de  HORN
eut les deux bras cassés, le fils de RUYTER  eut  l'épaule
fracassée et le comte de STIRUM était mort.
     Il y eut 1000 à 1300 morts, tués  ou  noyés  du  côté
hollandais et les pertes françaises s'élevaient  seulement
à 16 tués ou blessés.
     Les Hollandais horrifiés  s'en  allèrent  de  nuit  à
destination de l'île de la Dominique  où  ils  enterrèrent
leurs morts parmi lesquels le Comte de STIRUM.
  
     Ainsi 161 français, en majorité choisis  à  proximité
dans les compagnies de  Case  Pilote  et  de  Fort  Royal,
agrippés au rocher du Fort Royal avaient réussi à  défaire
une flotte solidement constituée et commandée.  Parmi  nos
morts  il  faut  signaler  celle  de  Guillaume   DORANGE,
compagnon de d'ESNAMBUC.


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Révision 20/01/2005