Un fichier des Français des États-Unis sur la période 1789-1816
Olivier Le Dour

Mon projet.
A la suite de deux ouvrages sur les Bretons d’Amérique, l’un sur les Bretons dans la ruée vers l’or de Californie, paru en 2006 aux éditions Les Portes du Large, et un sur les protestants bretons installés dans les colonies anglaises, à paraître prochainement, je prépare un volume sur les Bretons en Amérique du Nord continentale, de la Révolution française à la Restauration, qu’ils s’y soient établis ou n’aient fait qu’un bref passage. Les Bretons réfugiés des Antilles, et particulièrement ceux de Saint-Domingue, constituent la majorité de ma clientèle. Toutefois, leur origine bretonne est rarement précisée dans les sources américaines, en particulier si elle remonte à une génération antérieure. Comme pour mes travaux antérieurs, je m’efforce de procéder à un recensement aussi raisonnablement complet que possible, dans la limite de mes moyens et du temps disponible. Une annexe comportant un répertoire de tous les Bretons identifiés est prévue, comme c’est déjà le cas pour la ruée vers l’or et les émigrants protestants.

Deux bases de données.
C’est pourquoi j’ai entrepris de procéder à des recoupements entre le plus grand nombre possible de réfugiés français aux États-Unis et le plus grand nombre possible de Bretons des Antilles, et notamment de Saint-Domingue. Pour ce faire, j’ai créé deux bases des données numérisées.
La première rassemble des Bretons potentiels des Antilles à partir, notamment, des noms de l’index de GHC communs à la fois aux Antilles et aux départements bretons, des embarquements des Bretons à Nantes et à Bordeaux pour les Antilles, telles que publiées, respectivement par le Centre Généalogique de Loire-Atlantique et les Amitiés Généalogiques Bordelaises, des Bretons de l’index de Moreau de Saint-Méry et de quelques autres sources, comme la portion numérisée de l’index de l’indemnité de Saint-Domingue ou les index d’ouvrages sur le commerce antillais des Nantais ou des Malouins.
L’autre base de donnée comprend (comprendra, car je n’en ai pas achevé la saisie complète) tout ce que j’ai pu rassembler sur les Français aux États-Unis de l’époque : registres des consulats de France (Boston, Charleston, New York, Nouvelle-Orléans, Baltimore, Philadelphie), registres paroissiaux des églises catholiques (Nouvelle-Orléans, Philadelphie, Baltimore, New York, Charleston) registre des étrangers (Providence), les noms français de recensements (Baltimore, Nouvelle-Orléans) ou d’annuaires (Norfolk, Nouvelle-Orléans), des listes de francs-maçons français, des index d’ouvrages (de Gabriel Debien, Nathalie Dessens, Rosengarten, Childs, Babb, etc.), l’index de GHC pour la Louisiane et les USA, ou encore les Français des liste de passagers des navires arrivés à Philadelphie ou des victimes de la fièvre jaune dans cette même ville, ou la liste des Français expulsés de Cuba constituée par Gabriel Debien. Les archives des Affaires étrangères à Nantes m’ont aussi fourni les noms d’un tiers environ des passagers du convoi du Cap.

Toutes ces données s(er)ont saisies dans un fichier excel, avec les rubriques suivantes, remplies ou non en fonction des diverses sources : nom ; prénom ; lieu de naissance (ou origine) ; département ou pays de naissance ; date de naissance/baptême ; résidence ; département ou pays de résidence ; profession ; lieu de décès ; date de décès ; père ; mère ; veuvage ; nom du conjoint ; prénom du conjoint ; date du mariage ; naissance du conjoint ; décès de conjoint ; père du conjoint ; mère du conjoint ; date de l'acte ; sexe ; date d'engagement ; lieu d'embarquement ; date d'embarquement ; date d'arrivée ; navire ; destination ; commentaires ; source ; auteur/livre ; cote de l'acte/page.

La fusion de ces deux fichiers, une fois la saisie terminée, me donnera un corpus de noms communs à la Bretagne et aux États-Unis, et autant de pistes à creuser si elles m’avaient échappé jusqu’alors.

Pour les Français aux USA ou en Louisiane - sauf quand les limites temporelles de mes séjours aux archives m’imposaient des restrictions - je ne me suis pas limité à saisir les Bretons ou ceux dont l’origine n’est pas déterminée, mais la totalité des Français (ou des noms à consonance française). Ainsi, quand l’origine métropolitaine non-bretonne est connue, elle me permet d’ « exclure » une personne une fois pour toutes de mon corpus sans devoir m’interroger sur son origine si je la retrouve sur mon chemin sur une autre source.

État du projet.
Le manuscrit lui-même est déjà assez bien avancé (60% du travail, peut-être). Le premier fichier (Bretons aux Antilles) est raisonnablement complet. Le deuxième fichier (Français aux USA) compte à l’heure actuelle plus de 40 000 entrées, avec, naturellement, beaucoup d’entrées multiples et de noms « parasites » de personnes présentes préalablement à 1789, même si j’ai souvent exclu les personnes que j’ai identifiées comme déportés acadiens, descendants de huguenots ou descendants de colons de Louisiane française.

Il me reste à saisir encore environ 5% des données dont je dispose, l’affaire de quelques mois, tout en espérant mettre la main sur quelques sources complémentaires pour compléter mon corpus. Certaines listes m’échappent encore, en effet, comme celles des équipages du convoi du Cap, les listes de passagers bretons des navires partis de France à destination des États-Unis ou des passeports de France pour les États-Unis (je n’ai que les noms des passagers français arrivés à Philadelphie et les Bretons dont le passeport pour les USA ou la Louisiane fut délivré à Bordeaux), ou encore les registres catholiques d’inhumations et baptêmes post-1800 à Baltimore, que Jacques Houdaille avait, semble-t-il, retranscrit.

Comme, outre les simples noms, beaucoup d’autres données sont souvent présentes (ou au moins la référence à un ouvrage source), le fichier pourra évidemment être utile pour un usage beaucoup moins restreint que mon projet personnel : recherches sur une famille, un patronyme, voire une ville d’origine. Compte tenu de l’état d’avancement, il peut d’ailleurs déjà l’être. J’ai ainsi pu récemment proposer à la promotrice du projet ‘Grande Anse’ une liste d’environ 150 entrées en relation avec Jérémie [poser les questions via GHC, qui transmettra]

Quelques questions.
Parmi les familles sur lesquelles je travaille, il en est certaines que j'hésite à inclure, faute de confirmation formelle, malgré mes indices, de leur origine bretonne.

Éléonore Poirier. Je cherche la confirmation de l’origine bretonne des (ou d’un des) parents de la créole Éléonore Poirier, épouse Raboteau, née vers 1771 à Maribaroux, fille de Pierre [ou Etienne ?] Poirier, ancien conseiller assesseur au Conseil Supérieur du Cap et de son épouse Louise Josèphe Botereau, née à L’Artibonite ou à Nantes vers 1748, veuve en 1784, habitant alors la Plaine de l'Artibonite. Les Bot[t]ereau sont liés aux Théard de Nantes et aux Payan : Éléonore figure comme héritière de sa mère pour un tiers des 3/4 de la sucrerie Théard et Poirier à Maribaroux.

Le capitaine Bossière. Un autre client dont les origines bretonnes m'échappent est un personnage trouble de la Louisiane du 19ème siècle, le capitaine Joseph Bossière. Les connaissances sur ses parents ont-elles progressé depuis la question 01-128 (et les réponses apportées alors) des GHC 140-141 de septembre et octobre 2001 ? Voici un résumé de l’état de mes connaissances.

Joseph Antoine Bossière naît aux Cayes Saint-Louis le 25 janvier 1797 et est baptisé en juillet 1801 en la cathédrale Saint-Peter de Baltimore [comme sa sœur Marie Charlotte le 30 juin 1799], fils légitime de Jean Bossière et Marie Françoise Galuchat (née en 1773 à Saint-Domingue, fille de Marie Sauturon, native de Saint Marc, Martinique, et de feu Eustache Galluchat, boulanger à la Petite Rivière de l’Artibonite). Selon la tradition familiale, (retranscrite par Clyde Joseph Cucullu, dans History and genealogy of the Cucullu family in North America, 1983) son père serait né en France métropolitaine et aurait été un officier français de Rochambeau à Yorktown (ce qu’absolument rien ne vient confirmer, chez Bodinier, Balch, Lasseray ou La Jonquière – les seuls noms approchant étant celui de Pierre Bossier, matelot sur le Diadème de l’escadre de Grasse, le Vannetais François La Boessière de Rosvegun, qui sert dans l’escadre de Suffren et le capitaine corsaire nantais Louis Berthault de La Brossière). Le couple serait arrivé à Baltimore via Charleston. Veuve, Marie Françoise « Fanny » Galluchat épouse Antoine Lamarlère, natif de Tarbes, à Saint-Peter de Baltimore en février 1802. Quatre demi-sœurs naissent à Joseph : Marie Eugénie en janvier 1805 à Baltimore, puis Séraphine en 1806 à Baltimore, Marie-Michelle Henriette en 1812 à la Nouvelle-Orléans ; Marie Antoinette, née en décembre 1817 est baptisée à Saint-Louis de la Nouvelle-Orléans en avril 1825.

C'est selon toutes probabilité ce même Joseph Antoine que l'on retrouve plus tard capitaine de navire, vraisemblablement négrier [dans la paroisse de Saint-James, en 1818 et 1819, Joseph Bossière vend une vingtaine d’esclaves, en majorité natifs de Virginie à Raymond Guignan, Jean Armant, Michel Doradou Bringier, August Bertout, John Cox, Augustin Dominique Tureaud, Louis Chabert; Marcel Breaux et James F. Wilson], mais se faisant appeler Joseph Saint-Ange Bossière. Si ce n'est lui, c'est serait un frère, car les Bossière ne courent pas les rues à Baltimore et ce marin présente des liens avec les mêmes familles. Il commande essentiellement le brig Séraphin, qui appartient à son cousin Cucullu, qui lui est apparenté via les Galluchat. Il est mêlé à plusieurs incidents révélateurs d'un tempérament assez violent et de pratiques flibustières. Se partageant entre la Louisiane et le Maryland, Bossière figure dans l’annuaire de Baltimore en 1829 (Joseph S. Bossière, capitaine de marine, Nord-Charles street, côté ouest, au nord de Saratoga street). Sur le tard, vers 1837, il épouse Frances Ann Thompson, à Saint-Tammany, Louisiane ou en Pennsylvanie, petite-fille de Gedeon Johnston, l’un des fondateurs de Warrenton, Fauquier County, Virginie, et vétéran de la guerre d’Indépendance. Frances lui donne neuf enfants. Joseph Antoine "Saint-Ange" Bossière meurt en mai 1859, tué par balle.

Bossière en Bretagne et à Saint-Domingue : Deux indices plaident pour une origine bretonne, directe ou non, du père de Joseph Saint-Ange. D'abord le nom Bossière lui-même est surtout concentré en Loire Atlantique, principalement à Blain, Nort, Nantes, Héric et Fay-de-Bretagne. Il est présent au Croisic dès 1573, à Héric dès 1592 et à Blain au moins depuis 1609. Mais surtout, le prénom Saint-Ange, peu commun, se retrouve régulièrement dans la descendance de Joseph Antoine "Saint-Ange" Bossière. Or, on le retrouve également chez les Bossière du pays nantais : Saint-Ange Jules Bossière fils de feu Julien Bossière et d’Angélique Mabit, originaire de Blain, épouse Hélène Marie Robert, en juin 1871 à Montoir-de-Bretagne. Il y a donc lieu de penser que notre famille américaine présente un lien avec Blain.

Pour ce qui est des Bossière aux Antilles, pas de trace de Jean Bossière : les transcriptions des registres d'embarquements de Nantes pour les Antilles donnent deux porteurs : le Nantais Sébastien Bossière, 19 ans, cordonnier, engagé, fils de Sébastien et de Julienne Robin, embarque le 17 juillet 1767 sur la Diane pour Cayenne. Louis Joseph Bossière, 21 ans, originaire de Nort-sur-Erdre (44) fils de Louis et Marguerite Joubert, embarque le 4 mars 1772 sur la Parentière vers Port-au-Prince Le fichier Houdaille ajoute un Nicolas Bossière, tonnelier de 28 ans, qui fait le même voyage que Louis, à une date indéterminée. La présence de deux familles La Bossière est aussi attestée, l’une à Saint-Domingue et l’autre à la Martinique. L’article Les d’Escoublant de La Rougerie de Saint-Domingue, par Christian Blondel La Rougery (GHC 204, pp. 5233-5234) révèle la présence de Françoise La Bossière de Caramon, née à Petit-Goave vers 1699, fille d’un sieur La Bossière et de Françoise Merlin. A la Martinique (GHC 114, Pierre Bardin : Extraits des registres de Saint-Pierre de la Martinique déposés à Paris : famille Daubermin) le 20 août 1748 est baptisé Marc Edme, né le 27 juillet, avec pour marraine Catherine Nogues épouse du sieur Moreau de la Bossière, négociant. Edmée Moreau de La Bossière, 42 ans, née à Paris, embarque à Bordeaux en 1750 pour la Martinique.

Les Bossière en Louisiane: Le nom de Bossière est présent en Louisiane dès 1807, sans qu’il soit établi si ses porteurs sont parents avec Joseph. En 1807 dans la paroisse de La Nouvelle-Orléans, un Jean Bossière achète un esclave à Jean-Baptiste Buffrenil. Il ne peut s'agir du père de Joseph, car sa mère est déjà remariée à cette époque. En 1832, un J.C Bossière réside à la Nouvelle Orléans, au coin de Dauphine street et Toulouse street. Heloise Bossiere, épouse d'Edward Senac, donne naissance en décembre 1834 à Joseph Adelard Senac. Astrid Bossière, 48 ans décède en août 1853 de la fièvre jaune à La Nouvelle-Orléans, etc.

Toute information sur les origines du père de ce curieux personnage sera bienvenue


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Révision 27/02/2009