G.H.C. Bulletin 20 : Octobre 1990 Page 200
SAINT-BARTHELEMY
M. Gouyé-Petrelluzzi, B. et Ph. Rossignol
L'île de Saint-Barthélemy est une des dépendances de
la Guadeloupe, bien qu'elle soit à 200 km au nord de
celle-ci. Connue familièrement sous le nom de Saint-Barth,
c'est aujourd'hui un lieu de séjour ou de vacances de gens
riches et célèbres.
Le généalogiste qui s'intéresse au passé de l'île
doit lire l'étude de M. Jean Deveau dans les numéros 17-18
(1972) et 29 (1976) du Bulletin de la Société d'Histoire
de la Guadeloupe, qui démontre que, contrairement à une
idée reçue et qui est reprise dans le texte ci-dessous,
les habitants de Saint-Barthélemy, s'ils étaient en majo-
rité blancs, n'étaient pas "tous normands".
Marily Gouyé-Petrelluzzi nous a confié ce texte dont
M. Deveau avait cité des extraits dans son étude, et que
nous citons ici intégralement, les documents sur cette île
étant relativement rares. Il vient du Fonds Colonies
C/10D/1 et c'est un rapport du baron de CLUGNY, gouverneur
de la Guadeloupe, daté du 6 août 1784.
*****
Remarques sur l'isle de St Barthélemy
L'isle de St Barthélemy est séparée de celle de St
Martin par un canal de 4 à 5 lieues et peut avoir deux
lieues de long sur une de large. La côte est saine quoi-
qu'entourée de roches et d'islets qu'on peut ranger de
très près; elle est très poissonneuse.
Dans le S.O. de l'isle est un port excellent (1) où
on est à l'abri de tous vents, il ne peut y entrer actuel-
lement que des bateaux et goélettes n'ayant pas plus de 10
à 12 pieds d'eau. Les embarcations de St Martin et des
isles voisines s'y retirent pendant l'hivernage et pren-
nent ce temps pour se réparer. L'entrée du port est défen-
due par une batterie de 3 canons, un de 12 et deux de 6.
Au-dessus est une petite batterie de deux canons de 4. Il
n'y a pas de poudre, les affûts sont pourris. Le corps de
garde en maçonnerie est bien bâti et sert de demeure au
commandant des milices.
Dans le Sud de l'isle est une saline (2) qui donne de
beau sel et, avec quelques réparations, elle fournirait
beaucoup plus.
A l'ance St Jean (3) il y a cinq maisons et c'est
l'endroit le plus considérable. L'église en est à un petit
quart de lieue et répond bien à la pauvreté du pays.
L'entrée de la baie est difficile et entièrement ouverte
au Nord.
La terre est bonne en quelques endroits, les monta-
gnes et les bords de mer ne sont que des rochers stériles
et couverts de raquettes (4) où les cabrits (5) seuls
peuvent passer.
Il n'y a dans l'isle que cinq ou six familles diffé-
rentes, normands d'origine (6); ils ont beaucoup multiplié
et se marient toujours sans sortir de leur isle. La popu-
lation est assez considérable. Leur misère ne peut aller
plus loin. A travers des halliers épais on arrive, par des
sentiers détournés, à une mauvaise case où reste un homme
et une femme avec 7 à 8 enfants qui le jour travaillent
comme des nègres et la nuit se couchent pêle et mêle.
Un nègre esclave sert de médecin dans l'isle; il a la
confiance de tout le monde. On le dit fort entendu pour la
saignée et les fractures ou blessures.
Un européen marié à St Barthélemy sert d'écrivain, de
notaire etc. et règle les affaires des habitants. Elles
sont en mauvaises mains attendu que c'est un ivrogne.
Enfin St Barthélemy a été dans une position plus
brillante jadis. On voit encore les ruines de quelques
belles citernes. La disette pendant la guerre (7) a fait
périr beaucoup de nègres et même des blancs. On s'y dispu-
tait un verre d'eau. Il s'exporte communément de cette
isle trois cents balles de coton par an.
CLUGNY
*****
Commentaires :
Dans l'étude citée, M. Deveau démontre que "Monsieur
de CLUGNY était bien mal renseigné en prétendant qu'il n'y
avait dans l'île que 5 ou 6 familles différentes, d'ori-
gine normande, puisqu'il y avait en 1681, 63 noms patro-
nymiques différents et en 1724, 34 familles de noms diffé-
rents, puis, de 1724 à 1784, au moins 15 mariages avec de
nouveaux arrivants de France dont un seul normand."
L'étude généalogique de M. Deveau montre que la pré-
tendue origine normande n'était le cas que d'une partie
limitée des familles de l'île, et il suppose que cette
tradition d'origine remonte justement à ce texte de 1784
fait pour "apporter sa part d'eau au moulin des diplomates
en quête, depuis 1741, de motifs susceptibles de justifier
la cession à la Suède, en minimisant d'abord l'importance
de la population cédée, en lui conférant de surcroît une
origine normande", pour céder l'île à "des descendants de
Vikings !"
En effet, Saint-Barthélemy qui était française depuis
les deux établissements successifs de 1648 (auquel mit fin
un carnage par les "sauvages" en 1656) et 1659, fut cédée
précisément en 1784 à la Suède. "La population était alors
de 739 habitants dont 281 esclaves." (8)
La vie de la Saint-Barthélemy suédoise est expliquée
en détail dans l'article de Dan Brandstrom (8) qui donne
aussi le détail des conditions de restitution à la France
le 16 mars 1878 après un référendum (351 voix pour, une
contre!), contre une indemnisation de 80.000 francs et
320.000 francs de pension aux fonctionnaires de l'île.
Notes :
(1) Alors Carénage, actuellement Gustavia en l'honneur de
Gustave III de Suède sous le règne duquel l'île devint
suédoise.
(2) Actuellement Anse de Saline.
(3) Actuellement Baie St Jean.
(4) Figuiers de Barbarie.
(5) Chèvres.
(6) Voir les commentaires.
(7) 1744-1756, Guerre de Succession d'Autriche et Guerre
de Sept Ans.
(8) Dan Brandstrom : "Les relations entre Saint Barthélemy
et la Suède entre 1784 et 1878" Bull. Soc. d'Hist. de la
Guadeloupe n° 29, 1976.
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Révision 26/08/2003