G.H.C. Bulletin 20 : Octobre 1990 Page 212
UN CURIEUX MARIAGE Yvain Jouveau du Breuil
Le 8 octobre 1733, les habitants du quartier des
Habitants à la Basse Terre, île de la Guadeloupe, eurent
la surprise de voir un défilé insolite, en effet le Sieur
Paulin LEJEUNE, habitant de Ste Anne du Cul de Sac Marin,
est conduit par deux huissiers, députés par M. Maillard,
Juge de la Basse Terre, devant le curé de la dite paroisse
de Saint Joseph du dit quartier, pour y être marié avec
Demoiselle Claire BOUNON.
L'acte de mariage ne nous apprend rien d'autre, les
registres paroissiaux des Vieux Habitants sont muets sur
une éventuelle descendance, ainsi que les registres de
Goyave où demeure le marié, de Basse Terre d'où il est
natif, et de Pointe Noire où s'installera son frère.
Paulin LEJEUNE fut baptisé au Mont Carmel le 21 mai
1706, il est le fils cadet de Jerôme Joseph Alexandre,
natif de Paris, fonctionnaire de l'administration royale
en tant que Receveur du Domaine, et de sa première épouse
Catherine FORCUSSON, native de Basse Terre, fille de Jean,
et de Marie MAHON. Les Forcusson sont originaires d'Ecosse
et se sont établis à la Martinique dés 1648 où ils furent
habitants sucriers. Jerôme Joseph épousa en secondes noces
Elisabeth HOOK, fille de Jean, écuyer, originaire
d'Irlande, habitant sucrier à la Guadeloupe. Le fils aîné
de ce dernier, et donc le frère aîné de Paulin, sera capi-
taine commandant du quartier de la Pointe Noire et
conseiller au Conseil Supérieur de la Guadeloupe.
Le marié est issu de la haute société de l'île.
Claire BOUNON est très certainement native du quar-
tier des Vieux Habitants, comme ses frères et soeurs, mais
je n'ai pas retrouvé son acte de baptême. Elle est la
fille de François, habitant au dit quartier, décédé 20 ans
avant cet événement en 1713, fils lui même de François,
habitant dés 1664 dans ce même quartier, y possédant 4
habitations pour un total d'environ 24 hectares dont une
partie lui vient de son épouse Catherine BOUQUET, veuve de
Louis DAGOMEL dont elle avait eu trois fils. Veuve de
François BOUNON, elle donna le 22 juin 1686, 300 livres de
sucre pour les fortifications de l'île.
Sa mère Agnès du CHAUSSOY, native de l'Islet à Goyave
était fille de Henry, habitant dés 1664 dans ce quartier
et peut être originaire de Saint Christophe (fils de
Vincent et de Catherine Le VANNIER), et de Françoise
CAHOUET dit de LORME, fille d'Antoine, habitant au même
quartier et sur la même habitation que Henry du Chaussoy,
et de Françoise VOYON. Les soeurs d'Agnès épousèrent des
habitants importants de la paroisse : Ambroise Botté,
sergent de milice, Etienne Beaugendre, habitant sucrier,
François Dagomel, et des habitants de la Basse Terre,
Thomas Guidon, Jacques Martin et Denis Millet. Les frères
et soeurs de Claire Bounon s'allièrent avec les familles
Billery, Folquinquant, Leschaloupé, Tailliandier et Jude.
La situation sociale de la mariée est plus difficile
à préciser mais elle semble être issue du milieu des nota-
bles du quartier des Vieux Habitants.
Dans la descendance des deux familles je n'ai retrouvé
que deux actes concernant nos mariés: le baptême de Joseph
Alexandre BOUNON ou Bonon, le 6 mai 1734, son parrain
étant Paulin Lejeune, et le baptême de Marie Magdeleine
Joseph Lejeune le 10 juin 1756 à Pointe Noire dont la
marraine fut Claire Bounon épouse du sieur Paulin Lejeune,
elle était fille de Joseph Jerôme Alexandre, le conseiller
et de sa deuxième épouse Marie Magdeleine JUDE dont la
soeur Elisabeth épousa Joseph Alexandre BOUNON, filleul de
Paulin Lejeune.
En conclusion de ce long exposé, je n'ai rien trouvé me
permettant d'expliquer ce mariage hormis le refus du futur
de respecter ses engagements ou les engagements pris par
sa famille.
Sources : S.O.M. G1/468, 469 et 497;
Bulletin de la Sté d'Histoire de la Guadeloupe 65/66 :
Ph. et B. Rossignol "A propos d'une liste d'habitants de
la Guadeloupe datée du 30 octobre 1664".
Les changements d'identité sous la Révolution française
Yvain Jouveau du Breuil
La révolution française fut comme chacun sait, une
période de bouleversement et de changements sociaux,
culturels, idéologiques..., et pour certains, l'occasion
de changer d'identité pour échapper à la justice révolu-
tionnaire.
Si ce fait est connu de tous, les preuves manquent;
peu de documents en effet attestent ces modifications, les
auteurs prenant le plus grand soin à faire disparaître
toutes pièces susceptibles de prouver leur ancienne iden-
tité et nous les comprenons fort bien.
Rappelons qu'à cette époque il n'existait pas de
fichier centralisé tel que l'INSEE; la photographie fera
son apparition beaucoup plus tard ainsi que les cartes
d'identité. Les descriptions physiques des personnes
étaient le plus souvent assez vagues. La seule "pièce
d'identité" était un extrait baptistaire avec toutes les
imprécisions que l'on imagine. Tout ceci rendait le chan-
gement d'identité très facile à condition, bien sûr, de
quitter le lieu de sa résidence habituelle.
Monsieur Pierre Bardin a trouvé dans le fonds AF II
303 correspondant aux pièces du comité de salut public
pour les colonies de 1793 à l'an IV, une lettre dont voici
la copie :
" Mon cher frère, Je vous avise que je suis parti pour New
York dans le nouveau continent où, si je suis tranquil
(sic) je pourrai faire ma résidence ou sans quoi je me
rendrais aux isles des açores c'est à dire à Terceira où
lorsque je serai à demeure je vous aviserai ce qui ne sera
plus que sous le nom de Charlet auquel vous pouvez ajouter
foi ce qui me fait prendre ce nom, c'est la suite que l'on
donne contre ceux qui s'émigrent et comme on en prend où
il y en a je vous prie que tout le monde ignore où je puis
être. Bien des choses à nôtre père et croyez moi toujours
votre frère. signé Charles Fabre, signature que je prends
F. Charlet. Pointe à Pitre le 17 mars 1793.
(P.S.) J'ai chargé de mes affaires nôtre sieur F. Fabre
qui vous fera remise de tout à moins que je ne reste à la
Nouvelle Angleterre."
L'auteur de cette lettre eu l'imprudence d'écrire à
son frère, la lettre est tombée entre les mains des révo-
lutionnaires, ce qui nous permet d'avoir une preuve écrite
des changements d'identité.
Dans la liste des déportés (et absents) de la commune
de Port de la Liberté (Pointe à Pitre) du 26 brumaire an
IV (17 novembre 1795), se trouve cité un François Fabre,
peut être s'agit-il du chargé d'affaires mentionné.
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Révision 26/08/2003