G.H.C. Bulletin 84 : Juillet-Août 1996 Page 1690

Les propriétés CHAMPFLEURY à Saint-Domingue
François de la Roche Saint-André

     Le 24 décembre 1763,  dans  sa  sucrerie  appelée  le
"Fond de Gondole" à  St-Domingue,  mourait  Michel-Gabriel
VALETTE de CHAMPFLEURY. Marguerite  COURTIN,  qu'il  avait
épousée le 1er juillet  1731  à  Saint-Marc,  était  morte
depuis plus de seize ans. Sept de ses huit enfants  encore
vivants, un garçon et sept filles, étaient en France  pour
leur éducation.
     Seule était près de lui  sa  fille  Marguerite-Louise
qui avait épousé, le  22  janvier  1753,  Claude  GUIBERT,
descendant d'une famille établie à Saint-Domingue, sur  sa
terre de Minières, depuis le XVIIème siècle.

   CHAMPFLEURY était arrivé à St-Domingue lieutenant d'une 
compagnie de Marine. Aide-major, puis major-commandant  la
ville de Saint-Marc, Artibonite et dépendances, il s'était 
fait remarquer par sa volonté d'indépendance vis-à-vis  de
l'intendant de Saint-Domingue. Il avait été fait chevalier 
de Saint-Louis.
     Il laissait une  jolie  fortune  à  ses  enfants,  en
particulier une  habitation  appelée  le  Corail,  sur  la
Montagne de Saint-Marc, établie en  cafés,  contenant  288
carrés de 100 pas, estimée à 95.200 livres, un atelier  de
"99 têtes de nègres esclaves des deux  sexes",  estimés  à
142.800 livres, et dix-neuf mulets,  soit  11.400  livres.
Son habitation du Fond de Gondole, de 220 carreaux,  était
comptée  pour  125.500  livres.  Il  avait  également  une
concession de 279 carreaux dans les Bas  de  l'Artibonite,
évaluée à 41.850  livres,  car  elle  n'était  pas  encore
exploitée, et également un terrain non  bâti,  face  à  la
place d'Armes  de  Saint-Marc  qui,  plus  tard,  avec  un
magasin, vaudra 13.000 livres.

    Ses filles encore célibataires se marièrent en France. 
Des propriétés furent vendues pour payer des dettes, et on 
essaya de gérer le reste dans l'indivision. Mais très vite 
les choses se gâtèrent et chacun voulut avoir sa part dans 
la caféterie, seul bien qui restait et rapportait peu.
     Il serait trop long de raconter  ici  les  péripéties
des disputes familiales qui durèrent jusqu'en 1780.

     Deux  des  filles  CHAMPFLEURY  avaient  épousé  deux
cousins,  des  Bretons  ayant  leurs  propriétés  près  de
Rennes. Marguerite-Charlotte, qui était veuve de  Monsieur
FROMONT, s'était remariée à l'âge de 27 ans, le 30 juillet 
1780, avec le comte René-Henry  du  BOBERIL,  seigneur  DU
MOLANT. Marie-Michelle avait épousé, le  5  février  1771,
René-Joseph du BOBERIL, seigneur de CHERVILLE, commissaire 
des États de Bretagne.
  Dans les partages finaux de l'habitation de la Montagne, 
les deux cousins avaient cru intéressant de revendiquer le 
lot comprenant les  bâtiments  et  80  carreaux  de  terre
plantés en café.  Ils  ne  savaient  pas  que  les  plants
étaient vieux, qu'ils avaient épuisé la terre.  Ainsi  ils
avaient laissé partir la terre en bois  debout,  propre  à
cultiver les vivres pour la  main-d'oeuvre.  La  situation
devint vite catastrophique. Les du BOBERIL demandèrent  au
comte de LILANCOURT, commandant-en-chef de la  Colonie  au
Cap,  de  désigner  un  gérant  capable  de  redresser  la
situation : ce fut Monsieur BONO de BELAMI qui fut choisi. 
On lira des extraits du rapport que ce dernier lui fit; il 
n'est pas à la gloire des négociants de Saint-Domingue.

     En 1782, le comte  du  BOBERIL  se  rendit  à  Saint-
Domingue, bravant les dangers de la guerre, là encore trop 
longs à raconter. Le 12 juillet  1783,  les  deux  cousins
préféraient  vendre  à  monsieur   DAGUILAR,   habitation,
mobilier, nègres et mulets, le tout  à  petit  prix,  pour
70.000 livres. Ignorant quel  serait  l'avenir  de  Saint-
Domingue, ils pensaient avoir fait une  mauvaise  affaire,
leur seul souci étant de  se  débarrasser  de  ce  fardeau
inexploitable. Le comte du BOBERIL avait également reçu de 
son épouse l'habitation Fromont, d'environ cent  carreaux,
dans la plaine de l'Artibonite, où on cultivait  l'indigo.
Cette plantation laissait quelques bénéfices et  il  était
heureux de l'avoir conservée. Mais  quelques  années  plus
tard, les événements s'accélérèrent  et  cette  plantation
fut perdue pour ses héritiers.

9 novembre 1781
Lettre de M.  BONO  de  BELAMI,  à  La  Petite-Rivière  de
l'Artibonite, au comte de LILANCOUR, commandant-en-chef de 
la Colonie, au Cap.

"... Conformément à votre lettre, Monsieur le Comte, et en 
vertu des procurations  qui  l'accompagnent,  je  me  suis
rendu le 5 de ce mois à Saint-Marc, chez  MM.  LA  GOURGUE
frères, négociants en cette ville, et leur ai  communiqué,
avec votre lettre qui m'est très chère et très  flatteuse,
les pouvoirs dont vous avez bien  voulu  me  charger.  Ils
m'ont dit en être  d'autant  moins  surpris  qu'ils  n'ont
point ignoré que les mêmes pouvoirs étaient depuis quelque 
temps arrivés  en  cette  Colonie.  Après  en  avoir  pris
lecture entre mes mains, ils ont consenti à me  mettre  en
possession des biens de messieurs le comte du  BOBERIL  et
du BOBERIL de CHERVILLE.
En conséquence, je me suis transporté le  6  de  ce  mois,
avec un des MM. La GOURGUE faisant pour leur  Société,  et
avec M.  FOUQUEREAU,  notaire  audit  Saint-Marc,  sur  la
cafféyère dans les montagnes de  cette  ville,  à  l'effet
d'en recevoir par acte solennel la remise qui m'en  a  été
faite le même jour, et  d'en  être  reconnu  dès  lors  en
possession et jouissance pour et au nom  de  messieurs  du
BOBERIL et de CHERVILLE. J'y ai vu, monsieur le Comte, des 
bâtiments en bon état, des pieds de café de 25 ans chargés 
à promettre une cueillette d'environ trente  milliers,  et
qui m'ont paru cultivés d'une main sage, mais  j'y  ai  vu
avec douleur, quarante-quatre esclaves absolument  nus  et
décharnés, privés  de  tous  vivres  par  l'événement  des
partages faits le mois de  juin  dernier,  dont  un  tiers
d'extrêmement vieux, un sixième très jeunes et un  sixième
de malades.

Ce n'est pas non plus sans regret que j'ai  vu  que  cette
même habitation n'avait  qu'un  seul  mulet  qui  sert  au
gérant, et privée par là  d'exporter  et  d'exploiter  ses
denrées. Le gérant, à qui j'ai parlé en particulier à  cet
égard, m'a dit que les MM. LA GOURGUE avaient disposé  des
douze mulets qui existaient il y a trois ou quatre ans sur 
cette habitation, vraisemblablement pour se payer (...).

Le lendemain, monsieur le Comte, 7 de ce mois, je me  suis
rendu avec le même notaire et le même M. LA  GOURGUE,  sur


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