G.H.C. Numéro 44 : Décembre 1992 Page 694

L'origine de la paroisse Saint-François
de Basse-Terre à la Guadeloupe

Bernadette et Philippe Rossignol

     L'actuelle  ville de Basse-Terre eut à l'origine pour 
paroisse unique celle de Notre-Dame du Mont-Carmel, tenue, 
comme  son nom l'indique,  par les Carmes.  Les  registres 
conservés commencent en 1679. Mais il y eut assez vite une 
autre paroisse,  au bourg Saint-François,  de l'autre côté 
de la rivière aux Herbes, quartier des marchands alors que 
la  ville de Basse-Terre (paroisse du  Mont-Carmel)  était 
celle du gouvernement et des habitants.
     Les  actes du registre paroissial de  Saint-François, 
qui  commence  le 26 mars 1713,  sont signés par le  frère 
BONAVENTURE, capucin, jusqu'à fin janvier 1734. La corres- 
pondance des gouverneurs de Martinique (C/8),  reprise par 
l'abbé  David  dans  la  notice  qu'il  consacre  au  père 
BONAVENTURE,   nous  apprend  que  ce  missionnaire  était 
"regardé  par  ses paroissiens comme  un  saint  religieux 
plein  de  zèle"  qui avait entrepris  de  construire  son 
église qu'il avait presque achevée quand,  malade,  il dut 
partir pour France,  en 1734; il emporta alors de l'argent 
destiné  à  l'achat d'objets et habits liturgiques et  aux 
honoraires de huit cents messes, mais il mourut lors de la 
traversée,  et  il  fallut l'intervention  de  l'intendant 
d'ORGEVILLE  pour  récupérer  fonds  et  effets  saisis  à 
l'arrivée du bateau (1).    
     Ce n'était là qu'un des épisodes des difficultés  des 
Capucins  pour  faire  reconnaître  leurs  droits  sur  la 
paroisse Saint-François, comme nous allons le voir. 
     
     Les  Capucins  furent envoyés très tôt en  Guadeloupe 
puisqu'on  trouve  un écrit du 7  janvier  1637  stipulant 
qu'il  y  sera  envoyé  au plus tôt deux  ou  trois  Pères 
Capucins et qu'il leur sera donné 200 lt pour aider à leur 
établissement,  outre ce que le sieur l'OLIVE s'est obligé 
de  donner  pour la subsistance des religieux  qui  seront 
envoyés  dans l'île (2).  Sur leur début,  voir  "Dans  le 
sillage des caravelles", du Père Camille Fabre, 1976.
     
     Les Capucins des îles étaient tous de la province  de 
Normandie,  comme le montre bien le dictionnaire du clergé 
de  l'abbé  David,  et comme en font foi  leurs  noms,  en 
particulier  ceux que nous verrons plus loin :  Gabriel de 
Vire, Paul de Rouen, Jean Baptiste de Dieppe.
     L'ordre  des  Capucins,   fondé  en   1525,   voulait 
retrouver la rigueur primitive des Franciscains,  dont ils 
sont  une  branche.  C'est un ordre  mendiant,  aussi  les 
Capucins  ne possédaient-ils  pas  d'habitation,  contrai- 
rement aux Jésuites,  Jacobins ou Carmes, comme on peut le 
voir dans le recensement de 1671, par exemple. 
     Les  Capucins  furent en charge de la cure de  Saint-
François  depuis 1673 où DULION,  gouverneur de la  Guade- 
loupe, les y installa, jusqu'en 1685 où BLéNAC, gouverneur 
général  des îles de l'Amérique,  et  DUMAITZ,  intendant, 
distribuèrent  les quartiers de l'île en paroisses  "ayant 
fait  une  assemblée  des  Supérieurs de  mission  sans  y 
appeler  le  R.P.   Paul,  supérieur  des  Capucins,  pour 
défendre  sa  mission."  (3) En fait,  le  12  mars  1684, 
l'ordonnance  de BLENAC et BEGON établit les  limites  des 
cures  et  décide que,  à la Basse-Terre,  les  RP  Carmes 
seront  curés  des Blancs et les Jésuites des  Noirs.  Les 
Capucins  se  retrouvaient  au quartier de  la  Rivière  à 
Goyaves  et  du  Petit Cul de  Sac,  à  celui  des  Vieux-
Habitants et en Grande-Terre (4). 

     En fait,  il n'y avait donc, de nouveau, qu'une seule 
paroisse pour Basse-Terre,  celle des Carmes,  Notre-Dame-
du-Mont-Carmel,  et  la paroisse Saint-François n'existait 
plus :  en mars 1688, quand on dresse le procès-verbal des 
réparations  à faire aux églises de Guadeloupe (5) il  est 
dit qu'au quartier St-François de la Basse-Terre,  "il est 
nécessaire  de bâtir une église,  n'y ayant  encore  qu'un 
vieil  ajoupa où l'on célèbre la messe et n'y a rien  pour 
célébrer le service divin." 

     Les  habitants du bourg St-François de Basse-Terre et 
le R.P. DAMASE, supérieur des Capucins, supplièrent par la 
suite le gouverneur général PHéLYPEAUX de rétablir la cure 
et les Capucins, ce qui leur fut accordé par PHéLYPEAUX et 
VAUCRESSON, le 12 janvier 1713 (6). En 1715, le gouverneur 
de la Guadeloupe La MALMAISON voulant rétablir les Carmes, 
ils  supplient  cette  fois le duc  d'Orléans,  régent  du 
royaume,  de leur laisser les Capucins;  la lettre,  du 27 
janvier 1715,  est suivie des signatures (collationnées et 
non originales) des habitants du bourg à cette  date,  peu 
après  le  début des registres puisque ceux-ci  datent  de 
1713,  année  du rétablissement de la cure par  PHéLYPEAUX 
(3).  En 1720, le vicaire des CARMES demande de réexaminer 
l'affaire  car cela est très préjudiciable aux Carmes (7). 
Mais  cette  demande  n'eut pas  de  suite  puisque,  nous 
l'avons vu plus haut, le frère BONAVENTURE, capucin, resta 
curé de 1713 à 1734 et,  après sa mort,  la cure reste aux 
Capucins. 

  Le  père Paul de ROUEN,  alors supérieur général  de  la 
mission  au Fort-Royal,  n'avait pas été convoqué lors  du 
partage  de 1685  qui avait été une vraie spoliation  pour 
les Capucins ! Comme l'indique l'abbé David, le gouverneur 
général  BLéNAC et l'intendant DUMAITZ se  plaignirent  en 
1686  de "ses discours tout-à-fait contraires à l'établis- 
sement des cures" de Guadeloupe,  et souhaitaient le faire 
remplacer  par  "un  esprit  plus  tranquille  qui   n'ait 
d'autres  vues  que  le bien spirituel dont il  se  trouve 
chargé" et n'exprime pas des "prétentions  chimériques"... 
Elles  n'avaient rien de chimériques,  étant appuyées  par 
des  actes  notariés de donation et fondation d'un  ancien 
gouverneur  de Guadeloupe,  actes qu'il  connaissait  bien 
puisque,  nous  allons  le voir,  c'est à lui  qu'en  1673 
DULION  avait  cédé la jouissance de la terre qu'il  avait 
acquise des héritiers BAGU.  Mais voici d'abord l'acte qui 
a été pour nous à l'origine de cette recherche (8) :

     Comme  ainsi soit que défunt Messire Claude  François 
DELION  DULION  (sic),  vivant gouverneur pour le  Roy  de 
cette isle de Guadeloupe, ayant, par acte passé devant les 
Notaires de cette dite isle,  fait donation aux  Révérends 
Pères  Capucins de la Province de Normandie d'une  portion 
de  terre que le dit feu Seigneur avait acquise de Jacques 
BAGU,  située  proche  et sur le bord de  la  rivière  aux 
herbes de ce lieu,  par l'assistance et charité tant de la 
dame  veuve  du dit défunt Sieur DU LION que de  plusieurs 
autres  personnes,   les  dits  Révérends  Pères  Capucins 
auraient  fait  construire et bâtir une petite  maison  de 
bois  de  charpente qui sert à présent de chapelle  et  de 
logement au Révérend Père JUSTINIEN,  capucin, et au frère 
qui avec lui réside. 




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