G.H.C. Numéro 47 : Mars 1993 Page 757

COMPTE RENDU DE LECTURE
Pierre Bardin

    Histoire de la médecine aux Antilles et en Guyane
                    Jean-Claude Eymeri
                    L'Harmattan, 150F

     Nous avons appris que l'histoire de l'humanité,  dans 
sa version judéo-chrétienne,  se divisait en deux parties, 
avant  et après Jésus Christ.  Il faudra désormais ajouter 
deux  subdivisions,  avant et après 1492,  avant et  après 
1550. C'est ce qui ressort du livre de Jean-Claude Eymeri. 

     L'auteur, orfèvre en la matière, est chirurgien, chef 
de service au centre hospitalier universitaire de Fort-de-
France, après avoir exercé en Afrique, en Guadeloupe et en 
Guyane. 

     Il   est  certain  qu'en  1492,   les  caravelles  de 
Christophe  Colomb  emportaient avec  elles,  en  plus  de 
l'esprit  de  découvertes et ce qui  s'y  rattachait,  les 
connaissances médicales de l'époque,  mais aussi certaines 
maladies,  devenues  bénignes  pour  ceux qui  en  étaient 
atteints,  qui  allaient  se révéler  mortelles  pour  les 
peuples entrant dans notre histoire. J.C. Eymeri, chiffres 
et  témoignages  à l'appui,  montre qu'outre  les  affron- 
tements sanglants et la mise en servitude des Indiens,  ce 
fut  surtout le choc microbien et viral qui fut fatal  aux 
Amérindiens. En retour, ces pays nouveaux furent très vite 
décrits  comme  "pays  des  fièvres",   où  les  Européens 
tombaient comme des mouches; voir les débuts de la coloni- 
sation  en Guadeloupe ou la tristement célèbre  expédition 
de  Kourou  en  Guyane.  En prime,  nous  fut  offerte  la 
syphilis.  

  Les médecins, et surtout les missionnaires, durent faire 
appel  aux médecines qu'ils connaissaient (dont  certaines 
recettes  vous envoyaient plus sûrement ad patres que  les 
maux  qu'elles  étaient  censées soigner)  mais  également 
utiliser la très riche pharmacopée indigène, non seulement 
à  l'époque considérée mais encore  aujourd'hui.  Le  très 
sérieux  ORSTOM  n'a-t-il  pas publié en 1987  un  ouvrage 
intitulé  "Pharmacopée traditionnelle de  Guyane"  ?  J.C. 
Eymeri montre que la chirurgie évolua rapidement en raison 
des  guerres  que se livrèrent dans cette partie du  monde 
les conquérants des différentes nations  européennes,  par 
flibustiers   interposés.    Les   chirurgiens   embarqués 
devinrent remarquablement habiles pour, très vite, venir à 
bout des hémorragies provoquées par toutes sortes d'armes, 
ou  amputer des membres écrasés de diverses façons.  C'est 
Louis XIV, grâce ou par la faute de sa royale fistule, qui 
permit  aux  chirurgiens d'avoir une  place  honorable  et 
reconnue  car  ils  réussirent  là où  la  médecine  avait 
échoué.

     En 1550,  se tint à Valladolid, en Espagne, un procès 
arbitré par le légat du pape,  destiné à savoir si, oui ou 
non, les indiens avaient un âme. Ardent défenseur de ceux-
ci,  LAS  CASAS obtiendra satisfaction face au  philosophe 
SEPULVEDA.  Mais cette reconnaissance aura pour corollaire 
que l'on peut utiliser les Africains comme esclaves  :  le 
sort  de millions d'hommes venait d'être scellé pour  plus 
de  trois  cents  ans,  avec  les  conséquences  que  l'on 
connaît. 

     Dans  cet  ouvrage de 296 pages,  dont 10 de  biblio- 
graphie,  il est fait référence, on s'en doute, aux récits 
de  Père  BRETON,  DUTERTRE et  LABAT,  ainsi  qu'à  celui 
d'OEXMELIN  pour  la flibuste,  mais également aux  témoi- 
gnages de tous ceux qui,  à un moment de leur carrière, se 
trouvèrent  confrontés aux maladies tant sur  les  bateaux 
négriers que sur les habitations, utilisant leurs connais- 
sances mais empruntant aussi bien aux "sorciers" et à leur 
savoir  hérité de l'Afrique qu'aux "chamans"  amérindiens.      

     L'auteur,  fort de sa propre expérience,  propose une 
véritable ethnologie médicale, pas simplement une histoire 
de  la médecine aux isles mais une histoire de  l'humanité 
qui donne à son livre un caractère beaucoup plus universel 
que le titre ne le laisse supposer.  Paraphrasant Hampaté-
Ba  qui  parlait des "bibliothèques qui se perdent  chaque 
fois  qu'un  griot meurt",  ne dit-il pas  que  "lorsqu'un 
vieux guérisseur de brousse meurt,  c'est une bibliothèque 
médicale qui disparaît" ?

Société d'Histoire de la Guadeloupe

   Outre le rappel des activités de l'association en 1992, 
qui nous fait regretter de ne pas être en  Guadeloupe,  et 
la liste des nouveaux membres,  parmi lesquels nous sommes 
heureux  de  découvrir  des fidèles  de  GHC,  le  dernier 
compte-rendu est plein d'intérêt.

 Les projets pour 1993 sont prometteurs. Nous n'évoquerons 
pas  conférences,  voyages  et visites guidées,  dont  les 
métropolitains ne pourront pas profiter, mais :
- inventaire  photographique des monuments funéraires  des 
  cimetières de Guadeloupe par Raymond Boutin,
- création d'une commission de toponymie pour proposer des 
  rectifications  lorsque l'origine historique  oubliée  a 
  conduit à des déformations.
- numéros  spéciaux  du bulletin sur  Hégésippe  LEGITIMUS 
  (par  Alain Buffon),  sur la correspondance de Louis  de 
  CURT (par Marcel Chatillon) et peut-être sur Gilbert  de 
  CHAMBERTRAND (par Raymond Clermont). 

     Enfin  le président Jacques Adélaïde-Merlande énumère 
les nombreuses commémorations de 1993 :
- 1493 : bulle  Inter Coetera du pape Alexandre VI sur  le 
  partage  du monde (4 mai) et second voyage de Christophe 
  COLOMB au cours duquel il découvrit la Guadeloupe,
- 1793 : premier  régime  républicain à la  Guadeloupe  et 
  première  abolition de l'esclavage à Saint-Domingue  par 
  SONTHONNAX,  
- 1843 : le 8 février,  tremblement de terre qui détruisit 
  Pointe-à-Pitre  (voir article de Claude Thiébaut dans ce 
  numéro)  :  conférence  et exposition de  photos,  le  8 
  février  (donc  déjà  passées alors que  vous  lisez  ce 
  bulletin), 
- 1893 : premières élections législatives avec la partici- 
  pation de LEGITIMUS et mort de Victor SCHOELCHER,
- 1963 : création  de  la Société d'Histoire de la  Guade- 
  loupe.

Souhaitons longue vie à cette dynamique trentenaire !  




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