G.H.C. Numéro 50 : Juin 1993 Page 808

Au Surinam, il y a deux siècles (1793)

2/ Les îles du Vent

   Etant plus proches on pourrait penser que les nouvelles 
en arrivent avec plus de certitude; il n'en est rien.
   "On assure que la Martinique est prise par les Anglais, 
Saint-Domingue  par  les Espagnols,  que les émigrés  sont 
rentrés en France, que Dunkerque est brûlé, que tout est à 
feu et à sang." (Q4, le 14 juillet)
  "St-Domingue est aux espagnols, les habitants royalistes 
de  la  Martinique  avaient  fait  demander  à  la  flotte 
anglaise  de venir s'emparer d'eux,  qu'ils feraient  tout 
leur  possible pour leur livrer la colonie.  L'Amiral  s'y 
présenta,  mais les mulâtres et quelques mauvais sujets se 
refugièrent à Saint-Pierre et sur le Morne et ne voulurent 
pas se rendre; n'ayant point envie de répandre du sang, la 
flotte (s'en alla?  -mot manquant-) sans coup férir;  mais 
avant  que  de quitter le port ou les parages,  les  Aris- 
tocrates  mirent  le Fort-Royal en feu  et  leurs  propres 
habitations, se sauvèrent ensuite, gagnèrent la flotte qui 
les  reçut  avec plaisir et les déposa partout où ils  ont 
voulu être dans les différentes îles du Vent.  Vous  voyez 
par  là,  Monsieur,  que l'Ouest n'est pas plus tranquille 
que les îles du Vent", conclut BERRANGER dans sa lettre du 
16 juillet au Marquis de SAINT-SIMON.
   "Nous  apprenons  qu'un capitaine de  vaisseau  de  72, 
ayant  sous  lui une frégate de 44 et une golette de 12  a 
hissé  pavillon  royal et une tache noire dans  le  milieu 
pour la mort de son maître,  est parti de la Martinique et 
se promène dans toutes les îles ennemies de la France, est 
bien  reçu  partout et y trouve tous les secours  dont  il 
peut avoir besoin." (U 16 juillet)
     La  chronologie  des faits ci-dessus est la  suivante 
pour la Martinique (1) :
- 19 février: DUBUC et Louis de CURT (députés de la Marti- 
nique  et  de la Guadeloupe émigrés à Londres) signent  un 
accord  avec  les  Anglais  à  Whitehall.   Les   Antilles 
passeront  sous  la  domination  britannique  mais  seront 
rendues à la France lors de la restauration des Bourbons.
- 19  mars:  BÉHAGUE (gouverneur rebelle de la  Martinique 
réfugié à la Trinidad) signe un accord avec les Anglais en 
vue  de s'emparer de la Martinique.  Les royalistes de  la 
colonie, en intelligence avec lui, s'agitent.
- 27 avril: coup de main des royalistes et des Anglais.
- mai:  BÉHAGUE  tente  d'exécuter son plan  de  conquête; 
Patriotes et Royalistes entrent en lutte.
- 8 juin: victoire de ROCHAMBEAU grâce à la belle conduite 
du bataillon de mulâtres conduits par BELLEGARDE.
- 13  juin:  arrivée  de  DUBUC,  porteur des  accords  de 
Whitehall;  il encourage les rebelles, que soutiennent les 
troupes du général BRUCE.
- 21 juin:  déroute des blancs,  qui s'embarquent sous  le 
feu des Révolutionnaires dans le plus grand désordre.  Les 
Anglais couvrent leur retraite.
     Les vaisseau,  frégate et goélette au drapeau blanc à 
tache noire sont très probablement le vaisseau "La Ferme", 
la  frégate "La Calypso" (voir Colonies C7 A 101 les 10  2 
et 8 5 1793 et GHC pp 682, 694).
     Il  y  a une différence entre les  renseignements  de 
Pierre SATIE,  petit négociant :  "On assure que la Marti- 
nique  est prise par les anglais" et ceux,  beaucoup  plus 
exacts et précis,  de BERRANGER,  secrétaire du gouverneur 
du Surinam, dont les nouvelles sont de moins d'un mois.

IV Les jugements portés sur la France et les Français

     Bien  entendu tous ces événements n'apportent que des 
problèmes  à  ces négociants et ces  familles.  Aussi  les 
jugements portés ne sont-ils pas tendres.

     "La pauvre espèce humaine ne se corrige pas malgré sa 
soi-disant  philosophie et il faut toujours conclure  avec 
Boileau que l'homme n'est qu'une bête." (F)
     "Cette  maudite guerre fait du mal à  un  chacun.  Il 
faut  que  les  Français aient eu le diable  au  corps  de 
vouloir faire la guerre à toute l'Europe et de vouloir que 
tout le monde pensât et agît comme eux, ce qui plonge leur 
patrie  dans les malheurs les plus affreux et leur présage 
le même sort qu'aux polonais." (F)
     SICHTERMAN  espère  que "la Convention  Nationale  va 
bientôt  s'écrouler  avec tout le reste de  ce  monstrueux 
édifice que des ambitieux sans aucun principe ont élevé et 
cimenté  du sang de leurs concitoyens et de leur  Roi.  Je 
crois  avec Monsieur DUMOURIER (qui aurait pu s'en  aviser 
plus tôt) que les crimes des peuples échappent rarement  à 
la punition." (S)

     Quant à BERRANGER, Français émigré en Hollande et qui 
demeure  à  Paramaribo,  il  écrit  au  secrétaire  de  la 
Direction  du  Surinam à Amsterdam:  " Si mes  voeux  sont 
exaucés,  je me louerai intérieurement d'avoir facilité  à 
soustraire  une partie de ma première patrie à  l'anarchie 
et  d'avoir aidé celle à qui je dois mon existence et  par 
conséquent  tout  dévouement  et  toute  reconnaissance  à 
gagner un poste essentiel à la sûreté de toutes ses autres 
possessions  de  la terre ferme." Obligé de  repousser  un 
voyage  en Europe,  il se réjouit de pouvoir ainsi "rendre 
service à la colonie en reconnaissance de l'asile que  j'y 
ai  trouvé  durant  la tempête" et il  espère  mériter  la 
confiance  de  son  correspondant "dans le  moment  où  il 
suffit  de  se dire Français pour la perdre d'un  chacun." 
(O) Et en effet SICHTERMAN dit de lui: "Outre qu'il est de 
fort  bonne société,  il a mis le secrétariat  du  gouver- 
nement  dans un très bon ordre (...),  il a aussi plus  de 
plomb dans la tête que la plupart de ses compatriotes n'en 
ont à son âge; ses voyages à Cayenne où il a été obligé de 
se  conduire avec beaucoup de circonspection,  surtout  au 
second, en font foi." (S)

V Les personnes et les familles

1/ BERRANGER
     Nous avons relevé six lettres de lui,  datées des  15 
et  16 juillet et adressées au secrétaire de la  Direction 
du Surinam à Amsterdam, à l'ancien conseiller fiscal de la 
colonie  de  Surinam  à  Utrecht  et  à  son  épouse,   au 
lieutenant-colonel  des troupes du Surinam à Amsterdam  et 
au  Marquis de SAINT-SIMON.  D'autres parlent de  lui:  le 
capitaine de navire Pierre SATIE (Q4) et SICHTERMAN (S)
     Il  en  ressort  que c'est un  Français  réfugié  aux 
Provinces-Unies et de là passé au Surinam où il a servi de 
secrétaire  au  gouverneur.  Ses  fonds en  Hollande  sont 
confiés  à  un  certain  BOTEREAU  dont  il  est   souvent 
question.  Ce  BOTEREAU serait "parti d'Amsterdam  lorsque 
les  Français  furent repoussés du territoire de la  Répu- 
blique." (O) "Notre gouverneur a débité que BOTEREAU était 




Page suivante
Retour au sommaire
Lire un autre numéro





Révision 02/02/2004