G.H.C. Bulletin 72 : Juin 1995 Page 1362

PRINTEMPS CRÉOLE 95

     Avant 1989, en Guadeloupe, la pensée, voire l'action, 
idéologiques,  prônait  un  comportement  nationaliste  et
radical, "indépendantiste" disait-on alors, de  l'identité
antillaise. 1989 marque un tournant avec l'arrestation  de
Luc REINETTE, le  principal  idéologue  de  ce  mouvement.
L'affirmation est  désormais  "nationalitaire"  et  ne  se
limite pas au seul domaine politique :  le  député  guade-
loupéen MOUTOUSSAMY a  posé  au  Premier  Ministre  de  la
France la question de la représentation spécifique des DOM 
dans le Parlement  de  l'Europe.  La  réponse  du  Premier
Ministre a porté sur le caractère un et indivisible de  la
République française.  Recherche  donc  d'une  affirmation
politique et institutionnelle,  après avoir largement  été  
et  être  toujours-   culinaire,   littéraire,   musicale,
culturelle, sociale, sociologique... 
     Cette interrogation est en outre double : 
     -d'une part, elle existe aux Antilles,  qui  sont  un
lieu géographique  précis,  limité  par  la  mer,  formant
isolat, d'où un phénomène social et culturel d'inclusion;
     -d'autre part, cette interrogation  ne  se  manifeste
pas de la même manière sur le sol métropolitain; il s'agit 
plutôt d'un phénomène  antillais  autonome,  de  minorité,
différent, émergent dans la cité, dans la banlieue. Ainsi, 
les Antillais résidant  en  Métropole  se  considèrent-ils
d'abord comme des banlieusards avant d'être des  citoyens,
d'où la perception  (et la  constatation)  d'un  phénomène
d'exclusion.

     * -  Le  professeur  L.-F.  PRUDENT  rapproche  cette
constatation  de  celle  qu'il  fait  en   observant   les
étudiants antillais de l'Université des Antilles-Guyane  :
de  jeunes  personnes,  nées  en  Métropole   de   parents
antillais,  viennent   s'inscrire   à   l'Université   des
Antilles-Guyane; ces personnes ne parlent pas  le  créole,
mais le  comprennent;  elles  n'ont  pas  le  comportement
habituel antillais, ni  la  culture  courante  antillaise,
mais  souhaitent  s'intégrer  au  monde   antillais.   Ces
personnes ne sont pas "acceptées" par les autres étudiants 
nés sur place, et font souvent l'objet d'un rejet motivé à 
la fois par des raisons culturelles,  sociologiques,  mais
aussi  estudiantes;  ces  nouveaux  arrivants  sont  ainsi
perçus comme des rivaux dans le cadre  de  la  compétition
universitaire.

     M. Cl.-V. MARIE conclut en indiquant que  les  Antil-
lais, à la fois ceux vivant dans  les  îles  et  ceux  qui
résident en Métropole, devraient avoir une démarche  poli-
tique, un comportement social proche de celui  des  autres
communautés d'origine  étrangère,  et  qui  ensemble  vont
constituer la France de demain.

     * - M. Christian GELIN, journaliste au Nouvel  Obser-
vateur, présente un exposé très critique  centré  sur  les
conséquences, "néfastes" à ses yeux, du droit à la  diffé-
rence tel qu'il est développé par les pouvoirs publics  en
France. 
    Comment les  citoyens  et  les  étrangers  peuvent-ils
accepter la notion  d'intégration  quand  les  communautés
étrangères vivant sur le sol français  sont  exemptées  du
respect de la loi commune ? cf.  à  titre  d'exemples,  la
reconnaissance en France par le Conseil d'Etat,  en  1980,
du droit à la polygamie pour les ressortissants africains; 
la circulaire Dijoud  autorisant  l'Etat  à  financer  les
lieux de culte.

     La conclusion est apportée par M.  J.-Fr.  REVEL  qui
déclare que la notion  et  le  phénomène  d'intégration  -
melting pot américain- ne fonctionne plus très bien  :  en
1930, cette volonté politique et sociale a  été  largement
mise en oeuvre alors que le  chômage  frappait  30  %  des
actifs; de nos jours, toujours aux Etats-Unis, le  melting
pot ne fonctionne plus correctement, alors que le  chômage
ne touche que 5 % des actifs, que ce taux est le plus  bas
de tous les pays industrialisés !
     L'intégration, et son contraire l'exclusion, ne  sont
pas sous-tendues par la seule situation économique.

- l'après-midi : "le civisme". Présentateur : M. le préfet
Léon SAINT-PRIX.  Orateurs  :  MM.  Robert  FABRE,  ancien
Médiateur de la République et  ancien  membre  du  Conseil
constitutionnel,   Gabriel   LISETTE,   ancien   ministre,
Raymond-François LE BRIS, directeur de  l'Ecole  nationale
d'administration,  Eric  BRYS,  directeur  de   l'Institut
supérieur des affaires, groupe H.E.C.,  Christian  BRUCHI,
professeur à l'Université  de  Lyon,  et  Mesdames  Janine
MANODRITA, directeur honoraire de  la  Banque  de  France,
Marie-Claire LE JOSNE, psychiatre.

     Le professeur  BRUCHI  introduit  le  débat  par  une
rétrospective  historique  retraçant  l'origine,  puis  le
développement en France de la  notion  de  Nation,  depuis
l'Ancien Régime jusqu'à la République : ce  fut  la  lutte
contre les originalités de tous les peuples  composant  le
pays "France".

     M. Robert FABRE insiste pour sa  part  sur  le  grand
intérêt pour la nation de faciliter et même de  former  le
citoyen à la vie civique. Cette formation participe  à  la
défense des valeurs  "Justice",  "Egalité",  "Fraternité",
"Liberté" et des institutions démocratiques.
     C'est dans ce but qu'avec quelques personnalités dont 
notamment l'ancien ministre Gabriel  LISETTE,  il  a  créé
une association de formation civique du citoyen.

     Madame LE JOSNE, psychiatre,  a  présenté  un  exposé
très technique sur la pathologie de l'excès.

     Madame MANODRITA, directeur honoraire de la Banque de 
France, a exposé le thème "surendettement des familles  et
citoyenneté". Le surendettement  est  le  chemin  vers  la
pauvreté et l'exclusion.
     La  source  légale  :  une  loi  de  1989,  dite  loi
Niereitz, mise en application au 1er janvier 1990.
Trois idées principales : 
    - être citoyen, c'est tout le contraire d'être  exclu;
l'exclusion peut provenir d'un manque d'argent  (5),  lui-
même causé par des dettes ;
    - l'identité est une notion difficile à cerner  :  par
exemple, l'appartenance à un groupe social, et par voie de 
conséquence la structuration de la  personnalité  d'un  de
ses membres, passe souvent par la consommation de nombreux 
biens pour afficher que l'on participe au modèle dominant;
    - trouver la place de chacun d'entre nous, en  luttant
contre le surendettement.



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