G.H.C. Numéro 77 : Décembre 1995 Page 1495

SALE HISTOIRE A SAINTE LUCIE
Arnaud Vendryes

     Sainte-Lucie   fut-elle   la   perle   des   colonies 
françaises  dans les Iles du Vent ou bien un  ramassis  de 
gens  suffisamment solides au plan physique pour  résister 
aux  maladies mais qui laissaient parfois plus ou moins  à 
désirer au plan moral ?
     L'instruction  de ce débat mérite sans doute que soit 
étudiée de près le document suivant,  extrait de la  série 
Col C/10c/2. 

     Il s'agit d'une lettre écrite par un particulier,  ou 
plutôt  par une particulière,  probablement  en  1775.  Un 
plumitif  quelconque,  à moins qu'il s'agisse du  ministre 
lui  même,  a  inscrit  dans  la marge  la  mention  "très 
curieuse".
     La  mention d'un sieur PELOUZE nous fait  penser  que 
cette  lettre aurait été écrite du Praslin ou de  Dennery, 
sur  la côte est de Sainte-Lucie.  Nous avons par ailleurs 
du mal à situer le PELOUZE en question. S'agit-il de Marie 
Edmond  PELOUZE,  qui  épouse  à Dennery le  31  mai  1786 
Brigitte  MARGINIERE,  ou bien de son père  Paul  PELOUZE, 
qualifié  à  la même date d'ancien capitaine  d'infanterie 
dans  les  grenadiers  royaux et époux  de  Louise  Sophie 
TIPHAINE ? 
     Avouons en tout cas qu'à la lecture de cette  lettre, 
la  seule  question  que l'on a envie de se poser  est  la 
suivante : mais qu'allait-elle faire dans cette bourgade ?


     "Ma très chère soeur, après vous avoir fait donner de 
mes nouvelles par mon petit Vendredy,  je me sens enfin la 
force  de vous en donner moi même.  Je vous ferai donc  le 
détail de la situation terrible où je me suis vue,  livrée 
à  l'unique  habileté d'un accoucheur comme Mr PELOUZE  et 
qui  venait d'apprendre ce métier si délicat en  un  quart 
d'heure  de  lecture  qu'il avait fait dans un  volume  de 
Maurisseau  que la providence avait jeté dans  ma  biblio- 
thèque.  Mais  vous  dirai-je ou plutôt ne  ferais-je  pas 
mieux   de   vous  laisser  imaginer  l'inquiétude   d'une 
chrétienne  privée  depuis  cinq ans de  toute  espèce  de 
sacrement et même de l'assistance à la  messe,  inquiétude 
plus  cruelle  que celle de la mort pour qui ne  vit  pas, 
j'ose  le  dire,   dans  les  ténèbres  où  tant  de  gens 
s'engourdissent, vous devez bien plus frémir du danger que 
j'ai  couru de mourir sans secours spirituels,  hélas j'en 
frémis  encore et n'en vois pas moins le  danger  toujours 
prochain.

     Croyez  chère  soeur que je n'ai pas à  me  reprocher 
d'avoir quitté Dieu et son culte, pour la vaine fortune du 
monde,  quand je suis venue à Ste Lucie. Je savais que mon 
habitation  était  à une petite lieue d'un bourg où  il  y 
avait  église et curé mais ce curé est mort au bout de six 
mois,  après  avoir fait de son presbytère un  cabaret  de 
tafia  dont  sa  cupidité  lui  avait  fait  embrasser  sa 
mission.  Le père Charles François à qui sont confiées les 
cures  du  vent de cette isle,  n'est pas un  capucin  qui 
veuille prodiguer les sujets de son ordre quelque nombreux 
qu'ils soient.  J'attends  depuis plus de quatre  ans  que 
quelque  abbé  poussé par la soif du gain ou le besoin  de 
1200  livres veuille affronter les horreurs du  climat  de 
Ste  Lucie mais ces gens là sont ordinairement très avares 
de leur santé aussi y en a-t-il un qui exerce la  fonction 
de  pasteur  à  plusieurs lieues d'ici,  qui a  rendu  les 
sacrements  plus chers que les objets de luxe,  40  livres 
son voyage,  et c'est sa taxe seule, car il en reçoit bien 
plus  quand on lui donne.  De sorte que pauvres et  nègres 
meurent comme des chiens sans compter les enfants  mourant 
sans baptême ou mal baptisés, car la science des chrétiens 
est  toujours  bien  étrangère.  Hélas,  je suis  dans  le 
malheureux cas de ne savoir si ma pauvre petite fille  est 
bien baptisée,  ayant le scrupule de la faire baptiser par 
son  père,  je  me suis confiée à un jeune homme  qui  l'a 
baptisée ainsi, je te baptise au nom du père et du fils et 
du  saint saint esprit,  il a fait cette répétition  parce 
que  je  lui  fis faire attention qu'il  jetait  l'eau  en 
formant le signe de la croix à rebours.
     J'attends avec impatience que mes pauvres facultés me 
permettent d'avoir ce très cher curé qu'on n'a qu'au poids 
de l'or.
     Consultez  en  attendant très chère soeur  un  prêtre 
éclairé,  sur  ce  baptême de mon enfant et rendez-moi  sa 
réponse  le plus tôt possible car je  meurs  d'inquiétude. 
Vous êtes à Paris vous approchez de gens peut être en état 
de  remédier  aux  désordres où se trouvent les  curés  de 
cette  isle.  Le  ministre a écrit en vain au  préfet  des 
capucins  de mettre des curés dans ses  paroisses,  il  ne 
veut point diminuer le nombre des capucins,  il attend ces 
insatiables  abbés dont l'Eglise  a  horreur.  Ha !  chère 
soeur,  comment  confier son âme à ces gens-là !  Mais  je 
passerais  sur  tout  et dans la misère où je suis  je  me 
confesserais à Judas Iscariotte.
     Chère  soeur  vous êtes chrestienne et  d'une  grande 
industrie,  la charité est ingénieuse et ne se lasse point 
d'imaginer  quelques moyens pour faire relancer la paresse 
de ce préfet capucin. Le ministre lui a bien écrit de nous 
procurer des pasteurs,  il peut bien lui reprocher de  lui 
avoir  désobéi.  Adieu très chère amie et  marraine,  j'ai 
jeté  mes  peines sur le papier et n'ai pas le courage  de 
vous  dire autre chose de plus indifférent,  je vous  prie 
d'embrasser  ma pauvre chère mère et toute ma famille  que 
j'aime plus que jamais."

THESE

Philippe Hrodej
            a soutenu sa thèse de doctorat sur
     DU CASSE, l'élévation d'un gascon sous Louis XIV
(voir GHC 53, octobre 1993, page 875 et GHC 63, page 1130)
    le samedi 18 novembre 1995, à la Sorbonne Paris IV
         et a obtenu la mention "très honorable"
       avec les félicitations du jury à l'unanimité
  (M. Meyer, directeur de thèse, M. Haudrère, président)

  Nous sommes heureux de le féliciter également;  il  nous 
parlera bientôt de ce "personnage de tout premier plan,  à 
la  fois  connu  et méconnu,  du  Grand  siècle  français, 
européen  et euroaméricain",  pour reprendre les termes de 
M.  Lespagnol,  membre du jury. Nous nous unissons au voeu 
de M.  Pluchon,  autre membre du jury,  que la thèse  soit 
bientôt  publiée et qu'une biographie paraisse un jour  en 
librairie.






Page suivante
Retour au sommaire
Lire un autre numéro





Révision 07/12/2004