G.H.C. Bulletin 91 : Mars 1997 Page 1901

MELVIL-BLONCOURT le communard marie-galantais ?

nous dit Oruno Lara, que Monroval fut considéré comme  "un
type physique et moral réussi du  créole".  (p.  274,  op.
cité). L'on comprend pourquoi ce livre de piètre facture à 
tous égards fut à l'époque un succès mitigé de  librairie,
mais apprécié  par  l'élite  (George  Sand).  Ce  Moronval
présenté plus comme un tenancier d'hôtel borgne, que comme 
le directeur d'une institution libre, par les descriptions 
physiques appuyées, l'origine sociale  et  intellectuelle,
maquillée par endroits pour donner  le  change,  n'échappa
pas à la "Cité Intellectuelle". Page 42 l'on lit :
"Evariste Moronval, avocat et littérateur, avait été amené 
de la Pointe-à-Pitre en 1848, comme secrétaire d'un député 
de la Guadeloupe".

     L'on peut dire, de  manière  générale,  de  tous  les
personnages mis en scène par Daudet, de Moronval  à  Jack,
en  passant  par  le  professeur  de  littérature,  Amaury
d'Argenton, qu'il se trouve toujours un détail évoquant la 
personne de Melvil-Bloncourt. L'on n'aurait pas tenu grief 
à  Alphonse  Daudet  d'avoir  peint  un  type  de  mulâtre
crédible, mais ici la boursouflure, la haine,  l'emportent 
sur la littérature. Même  les  comparses  de  Moronval  en
subissent l'effet. Les deux piliers de ce  livre  sont  le
vérisme et le misérabilisme. Dans ce second cas  sourd  un
racisme dont Alphonse Daudet ainsi que  ses  contemporains
n'avaient pas conscience.

     Jules Clarétie, qui était un familier de Daudet, dans 
ses "Célébrités contemporaines" (1883), livre  la  clé  du
rébus d'Alphonse Daudet. "Faut-il le nommer aujourd'hui ce 
Moronval  ?  On  l'a  porté  naguère  au   cimetière,   il
s'appelait  Melvil-Bloncourt".  Firmin   Maillard,   d'une
manière plus primesautière évoque la  bassesse  d'Alphonse
Daudet : "...on peut quelquefois ne pas  rendre  le  dîner
qu'on a accepté, mais le vomir sur la tête de l'amphitryon 
a toujours été regardé comme une chose  malséante...  tout
cela est parfaitement exact, l'auteur a connu Moronval. Il 
allait aux soirées de  Moronval,  il  buvait  l'orgeat  de
Moronval et y faisait  danser  les  demoiselles;  Moronval
était jaune foncé, le romancier l'a peut-être  vu  un  peu
noir... tant pis pour Moronval".
("La Cité des Intellectuels" p. 146).

     Alphonse Daudet, pour corroborer son travail de démo- 
lition contre son ex-ami, la  fortune  littéraire  aidant,
fit une adaptation de "Jack",  en  collaboration  avec  H.
Lafontaine. Elle fut représentée pour la première fois  le
11 janvier 1881 au théâtre de l'Odéon. (E. Dentu, éditeur, 
1882). Ici encore, le  vérisme  fut  poussé  à  l'extrême.
Monsieur Lafontaine, jouant le rôle  d'Amaury  d'Argenton,
avait (ou s'était fait ?)  la  tête  de  Melvil-Bloncourt,
telle que la photographie la représente : le visage  barré
d'une large moustache...
     Le  journaliste,  Maxime  Rude,  autre   mémorialiste
réfléchi de cette fin de siècle, a, non  sans  raison,  pu
écrire du très (et trop) célèbre Daudet : "Trop de bonheur 
rend ingrat", faisant ainsi allusion aux temps des  vaches
maigres du Tarasconais, lequel dut son entrée en  littéra-
ture au duc de Morny dont il était le secrétaire.
Il faillit être un de ces ratés qu'il a voulu décrire dans 
"Jack", si le duc de Morny n'avait pas passé l'éponge  sur
une saisie-arrêt faite par un imprimeur  sur  ses  appoin-
tements de secrétaire.
     Le roman-pamphlet de Daudet parut alors  que  Melvil-
Bloncourt s'était exilé en Suisse,  après  la  Commune  de
Paris à laquelle il avait pris  part.  Laissons  le  champ
littéraire pour entendre la  voix  des  contemporains.  Du
journal "La Paix", 14 Mars 1925 : "Melvil-Bloncourt,  dans
ses critiques, pratiqua l'éreintement en règle  de  Daudet
qu'il qualifia de sous-officier des  Lettres.  Son  adver-
saire le ménagea encore moins... Les cénacles  littéraires
s'en mêlèrent toujours avec leur esprit frondeur. Les amis 
de Daudet traitèrent  Melvil-Bloncourt  de  malheureux  en
choix, et ceux du dernier infligèrent à son antagoniste le 
nom d'un petit poisson dont l'application est  rien  moins
qu'honorable".
     Quant à nous, nous livrons au psychiatre  ce  passage
tiré de la Chèvre  de  Monsieur  Seguin  :  "Notre  petite
coureuse en robe blanche fit sensation. On  lui  donna  la
meilleure place à la  lambrusque  et  tous  ces  messieurs
furent galants... Il paraît même -ceci doit  rester  entre
nous, Gringoire- qu'un chamois à pelage noir eut la  bonne
fortune de plaire à Blanquette".

     Quid d'Alphonse Daudet, écrivain ? Voici un  jugement
de son dernier biographe,  Madame  Wanda  Banour  (France-
Culture, 19 heures, 25 juillet  1990)  :  du  "sous-Zola".
D'Henri Guillemin, commentant l'oeuvre de Jules  Vallès  :
"considérer  avec  déférence,  et  selon   la   tradition,
Alphonse Daudet, par exemple, comme un grand écrivain,  et
réserver une place dans son ombre -une sorte  de  niche  à
chien- à Vallès, cela relève de la bouffonnerie".

Le parlementaire

     C'est l'instant d'évoquer  le  parlementaire.  Melvil-
Bloncourt fit son entrée sur la scène  politique  avec  la
chute de l'Empire. La Guadeloupe avait  eu  à  élire  deux
députés.  Le  15  octobre  1870,  dans  le   journal   "Le
Commercial" (Guadeloupe) était proposé le  tandem,  Victor
Schoelcher et Melvil-Bloncourt. Le  21  octobre  1870,  le
journal "L'Avenir"  (Guadeloupe)  proposait  une  nouvelle
combinaison : Victor Schoelcher et Auguste Duchassaing.

     Il faut dire que la candidature  de  Melvil-Bloncourt
n'allait pas de soi, -son intégrité et ses qualités intel- 
lectuelles n'étant pas en cause- mais ses  adversaires,  à
Paris comme à  la  Guadeloupe,  n'avaient  pas  oublié  sa
participation à la Commune. Le 10  mars  1871,  "L'Avenir"
donnait les résultats des élections de Paris où avait  été
élu Victor Schoelcher, en  même  temps  que  Victor  Hugo,
Gambetta, Ledru  Rollin,  Clémenceau.  Y  était  également
insérée une note-manifeste en faveur d'Adolphe  Rollin  et
Melvil-Bloncourt.  Le  11  mars  1871,   "Le   Commercial"
(Guadeloupe) publiait le manifeste suivant dans lequel  M.
Rollin déclarait : "la nomination de notre illustre conci- 
toyen, Victor Schoelcher, à la  représentation  de  Paris,
étant un fait accompli, il y a lieu de porter nos voix sur 
un autre candidat.
Je me substitue à M. Schoelcher dans la combinaison  libé-
rale représentée par lui et par M. Melvil-Bloncourt auquel 
je suis uni par mes principes et mes convictions".


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Révision 20/01/2005